De l'air, de l'air, de l'air, j'veux rien qu'un petit deux secondes sans avoir l'impression d'étouffer dans mon propre havre de paix placardé "anti-connards", et déjà violé. Paradoxe, j'tire une clope (une fuckin clope dorée parce que mes dernières seront pas du cheap, pas question), me noie dans l'air froid (mais pas glacial, on s'calme les New-Yorkais) d'un décembre dans une galaxie loin de chez vous. J'ai la tête qui tourne déjà, parce que j'ai décidé de dévaler les vingt étages de l'immeuble au lieu de prendre l'ascenseur et même quelqu'un d'ordinaire serait crevé à cette idée-là. J'vois mes doigts enrouler le bâton de papier, tous les ongles sauf les annulaires peints en néons, et ils sont fins, fins, maigres.
"
Wow Alex, j'aimerais tellement être mince comme toi."
Wrong. Wrong, wrong, wrong, ça en dit long sur notre société.
"
Non Sharon, j'suis malade."
"
Hahahaha j'aimerais ça aussi alors."
NON. SHARON.
J'avance, vite ; trop vite, je glisse du haut de mes talons plateformes pis tombe face dans la neige glacée. J'ai tellement chaud que j'suis surprise de pas la voir partir en
pschhhht, fondue dès mon impact peu gracieux. J'ai sauvé l'essentiel, la clope est bien haute dans les airs et ma face pleine de neige me fait du bien. J'rejoins le métro le plus vite possible, déçue de pas pouvoir prendre mon skate malgré les kilomètres qui me séparent du marché de Noël.
J'pourrais sortir le gun maintenant.
Mais non, ça sert à rien si y'a personne d'autre que des inconnus pour me remarquer. À la place, tout le long du chemin, j'fais des bulles de bubblegum qui goûte pu rien pantoute, mais je sens l'intimidation qui fonctionne. Avec mes lunettes de soleil fancy (et nécessaires, la clarté de la neige m'explose le cerveau), on dirait que j'sors du
Diable s'habille en Prada. Un gars chuchote que j'ressemble à un clown et à une pute en même temps, alors j'lui fait un clin d'oeil et lui fait remarquer que j'ai entendu. De toute façon, c'est pas lui qui va frencher ce soit avec sa gueule pleine de boutons et son fedora du dollar store.
Marché de Noël.
Des passants partout, avec leur présent-futur-passé mélangé au Magic Bullet dans un cerveau pressé. C'est les Hunger Games les amis, nous avons plus d'un millier de tributs ! Qui sera le grand vainqueur ? Celui qui repartira avec le tout dernier jeu Naughty Dog, celui avec le grille-pain de marde ? J'croise une fille de l'école en chemin (bizarre hasard fêtard), lui fait la causette pendant un moment. Puis repars, lui fait un clin d'oeil et lui dit de surveiller
ceux qui aiment pas Noël. Elle sait ce que ça veut dire, me dit qu'elle gardera un oeil ouvert pour ma prochaine connerie monumentale.
J'ai l'air de préparer un massacre, doux Jésus. J'jure que ce sera peace and love.
Drôle quand même.
Mais peace and love.
Sac à dos tombant sur l'épaule, rose bonbon avec un froufrou bleu, je matche de partout (excepté pour ceux qui pensent que rose et cuir ne sont pas bon mélange).
Where u at ???, je texte d'une main à mon p'tit con d'Ash, mes yeux cerclés de winged eyeliner plissés pour essayer de reconnaître quelqu'un dans la foule. Mais des cheveux aussi blonds que le petit prince, wavy style mannequin pour ados, y'en a beaucoup, à New-York. J'décide de fermer les yeux, essayer d'écouter, plutôt. Parce que les accents hongrois, c'est ça qui trahit pas mal t'es qui dans la ville qui dort jamais.
Crissements de pas dans la neige. Musique quétaine de Noël.
Hurlement strident et vibration dans ma poche.
Hehe. Les gens se retournent, choqués. C'est juste ma sonnerie texto pour Ash.
Ici.
Sourire, je range mon cellulaire au fond de la poche de mon manteau, remonte mes lunettes de soleil. Il est là, avec son air de con, et j'lui fait une bulle pour faire genre
j'suis là depuis longtemps et je t'attends même si c'est pas vrai, mais dites-lui pas que j'ai dit ça. Ash, il est trop important pour qu'il sache que j'suis pas parfaite. Ça a l'air con comme ça, mais si ses derniers souvenirs de moi sont terriblement humains, j'serais vraiment déçue. Parce que les humains sucent. C'est la dure réalité. Faut être plus encore, ou rien du tout, ou on est juste un autre déchet débile léger qui morve dans les rues. Ash, c'est mon premier ami du coin, et sûrement mon dernier. Lui il fait pas des "ooooooooh nooooooo" en entendant mes jokes sur la maladie, il rit quand j'casse une connasse qui me fait son attitude. C'est mon partner in crime, c'est un p'tit frustré de la vie avec une bête sauvage en lui que j'ai bien envie de libérer. Il mérite pas d'être apprivoisé, calmé, endormi ; il mérite bien mieux.
Ma face garde aucune impression, même si j'ai envie d'avoir un rire narquois, un rictus méprisant et de cracher au sol en même temps.
"
Le géniteur débarque pour Noël, fuck me."
J'ai juste l'air vaguement annoyed, je pense.