the worst is yet to come / aldis

Elle claque la porte derrière, sac sur l'épaule, sac dans lequel elle a à peine eu le temps de balancer tout ce qu'elle aurait dû. Déjà elle entend la discussion qui bat son plein dans l'appartement, ou du moins ce qu'elle préférerait être une simple discussion. Elle soupire, s'engageant dans les escaliers, puis l'air frais de la ville qui la fouette au visage lorsqu'elle sort du petit immeuble mal entretenu. C'est ça son quotidien, ces derniers temps. D'habitude, elle se contente d'attendre que Johnny aie terminé ses affaires, assise dans les escaliers, l'étage en dessous. Si elle fumait, elle s'allumerait une clope, là, déambulant dans les rues, sans savoir où elle allait passer la nuit. Elle rabat sa capuche sur ses cheveux bruns, serrant la bride de son sac à dos comme s'il risquait de disparaître, et marche plusieurs mètres, kilomètres peut-être, elle ne fait pas attention. Ça fait peut-être bien une demi-heure qu'elle marche. Elle lève la tête, et elle observe le ciel jamais éteint de New-York, enfonçant ses poings dans ses poches. Ses doigts y trouvent un boule de papier, qu'elle sort de sa veste sans quitter des yeux la lumière argentée au-dessus d'elle. Elle le garde dans sa main, une seconde, deux, trois, puis elle baisse les yeux vers le papier froissé, qu'elle tente de déplier sans le déchirer. Il doit être là depuis des semaines, et c'est lorsqu'elle arrive à décrypter les griffonnages qu'elle s'en rend compte : il pourrit au fond de sa poche depuis un sacré moment. Cinq lettres, écrites en noir, suivies d'un numéro de téléphone qu'elle n'a jamais appelé. Aldis. Elle plisse les paupières, hésite. Aldis, elle a été sympa, avec elle. Elle n'a nul part où aller, ce soir, et peut-être pas envie de rester seule. Et elle est là, entre ses doigts, et elle se dit que c'était peut-être un signe, ou une connerie du genre. Alors elle appelle. - Salut, Aldis ? C'est Sierra. J'me demandais si ça te disait qu'on se voit, là. Elle attend, elle raccroche, et elle se met en marche jusqu'à l'adresse indiquée. Little Italy. Elle frappe à la porte, capuche sur la tête, mains dans les poches, elle relève les yeux lorsque le panneau de bois s'ouvre. Elle sourit, retire sa capuche dans un geste rapide, silencieuse, et entre lorsqu'on le lui propose.

the kids aren't alright

Le regard rivé à l'écran, tu pourrais t'endormir là vu la journée que tu viens de passer. Elles sont toujours chargées, mais celle-ci t'a semblé interminable. Tu ne t'en plains plus, de toutes manières tu n'as actuellement personne à qui raconter tes mésaventures en rentrant. Et oui, tu n'as pas non plus le temps pour ça. Ce qui n'est pas forcément négatif, sachant que tu as toujours été nulle pour choisir tes copains. La preuve encore avec ton dernier crush en date, non seulement il est bien trop fortuné que pour s'intéresser à toi, mais il est surtout drogué et tu n'as pas besoin de ça. Tu as toujours eu cette tendance stupide à viser trop haut, on voit où cela t'a menée. Tirée de ta somnolence par la sonnerie de ton téléphone, tu tâtonnes pour le retrouver entre les coussins et t'en saisis juste à temps pour décrocher bien que le numéro affiché te soit parfaitement inconnu. C'est une voix féminine qui te répond, déclinant par chance son identité. Sierra, à vrai dire tu ne savais pas si elle finirait par t'appeler après tout ce temps. Tu es ravie qu'elle le fasse, s'il y a une chose dont tu as besoin c'est sans nul doute d'une amie. « Bien sûr, tu peux venir chez moi si tu veux. » Tu lui indiques ton adresse, et elle ne tarde pas à raccrocher. Jetant un regard autour de toi, tu supposes que l'état des lieux n'est pas trop déplorable. De toutes manières, il ne s'agit que de Little Italy et tu es femme de ménage, Sierra ne doit pas s'attendre à beaucoup mieux. En dehors de tes employeurs, rares sont ceux qui connaissent ton véritable métier et ne te prennent pas pour une étudiante pleine de rêves. Comme si, toi, tu avais encore des rêves, quelle jolie illusion. Tu ne tardes pas à attendre frapper à la porte, et t'empresses d'aller l'ouvrir. Tu offres un sourire à ton invitée, t'écartant pour lui céder le passage. « Hey. Entre, je t'en prie. » Tu refermes derrière elle et la mène jusqu'au petit salon, désignant le canapé sans te départir de ton sourire. « Installe-toi. Tu as faim ? » A vrai dire, tu t'interroges sur les raisons de sa présence, mais tu es suffisamment bien élevée que pour ne pas l'assaillir de questions au bout de trois secondes.

L'appartement ressemble à celui de Johnny. C'est ce qu'elle remarque en premier. Sans l'odeur de cigarette et les cadavres de bouteilles. Sans les rideaux jaunis et le matelas à même le sol. Elle s'arrête un instant sur le seuil, juste pour s'imprégner de l'endroit. Son regard balaye la pièce principale, les coussins sur le canapé, les photos sur le meuble, et elle se sent à part. Ça ressemble à l'image qu'elle se fait d'un chez-soi, de ceux qu'elle n'a jamais connu, et elle a ce pincement au cœur, léger mais présent, qu'elle ignore d'un battement de cils. Elle hoche vaguement la tête. - Hm, ouais, un peu. Elle replace la bretelle de son sac à dos sur son épaule, et reste figée un moment. Elle n'a presque rien avalé depuis le matin, et son ventre hurle famine. Elle esquisse un sourire, polie, courtoise, bien loin de l'enfant sauvage qui vole dans les poches des passants, dans les rayons des épiceries locales. Elle observe Aldis s'agiter dans la pièce, et elle réprime un sourire. Elles sont si différentes. Aldis et le dos droit, Sierra et les épaules courbées. Aldis et les yeux qui pétillent, Sierra et le regard qui se fane. Elle avance d'un pas pour s'asseoir sur le canapé, déposant son sac à dos à ses pieds. Elle est fatiguée, seule, vide, et elle se dit qu'elle pourrait rester ici, pour un moment, pour toujours, parce qu'elle est moins vide, sur le vieux canapé confortable, l'aura d'Aldis qui la réchauffe un peu. Elle est silencieuse, parce qu'elle ne sait pas faire la conversation, qu'elle espère qu'Aldis la fera pour elle. Elle laisse son regard vagabonder sur les murs, les meubles, elle s'imagine une seconde vivre ici, seule, et son cœur manque un battement, alors elle oublie, et elle se concentre sur la chevelure dorée d'Aldis, la chaleur qu'elle émane et sa vie entière dans son sac à ses pieds. Elle se racle la gorge, doucement, fronce les sourcils, esquisse un sourire. - Comment... ça va ? Elle trébuche sur les mots, Sierra, et elle espère qu'Aldis n'y prêtera pas attention.