[she's a goddess]

Les nouvelles recrues, la chair fraiche. Tout ce qu'Aubrey déteste et redoute à la fois. Elle sourit poliment, mais le cœur n'y est pas. Si elle avait pu, elle les aurait toutes renvoyé chez elles, un coup de Louboutin à l'arrière de leurs jeans taille 34. De plus en plus minces, de plus en plus grandes, de plus en plus jeunes. Un cauchemar éveillé, la réalité de son métier si formidable. - Aubrey, approche, il y a quelqu'un que je souhaite te faire rencontre ! S'extasie Stacy, la patronne de l'agence, celle qui décide des visages de demain. Aubrey grince des dents pour contenir sa rage. Mais elle s’exécute, faussement bienveillante et disciplinée, comme toujours. Elle la suit, voyant se profiler au loin une jeune blonde. Un bon mètre 80 et des jambes à n'en plus finir. Aubrey se racle la gorge comme pour se redonner du courage. Ce n'est pas une minette à peine majeure qui allait lui faire de l'ombre ou pire, lui faire peur. - Aubrey, je te présente Lissa, une jeune prodige. Elle sera la future Gigi Hadid, tu peux me croire ! Stacy affiche un sourire des plus enthousiastes à mesure qu'Aubrey perd le sien. - Enchantée Lissa, dit-elle de sa voix la plus convaincante et la plus fausse  possible. - Je souhaite que tu lui montres les ficelles du métier. Tu es la plus qualifiée pour cela ! Trop occupée à observer chacun des traits de ce visage parfait, elle en oublie d'écouter. Mais lorsqu'elle réalise ce qu'on lui demande, Aubrey tombe des nu, abasourdie. Comment pourrait-elle décemment former celle qui prendra sans doute sa place ?


L'eau chaude ruisselait le long de son corps, embrumant ses pensées trop entêtantes. Le succès ne venait pas sans son lot de désastres, mais combien pouvait-elle supporter encore ? Un fiancé distant, des concurrentes de plus en plus belles, des menaces de mort... C'était tout un monde qu'elle portait sur ses frêles épaules. Et si la jeune Parrish ne s'autorisait jamais à pleurer, il lui arrivait de laisser planer le doute entre des larmes et l'eau de la douche. Elle plaqua ses longs cheveux bruns en arrière, prenant une profonde respiration. Elle avait tout pour être heureuse, mais ses problèmes de bourgeoise ne cessaient de la rattraper. Oui, elle était adulée. Oui, elle s'approchait au maximum de la perfection, mais non, elle ne nageait pas dans le bonheur, malgré tous ses efforts pour essayer de faire croire le contraire. Après une bonne vingtaine de minutes à réfléchir, elle attrapa une serviette qu'elle noua autour de son corps, puis elle s'arrêta, face au miroir. Elle n'avait pas encore trente ans. Il lui restait encore de belles années, pas vrai ? Même si elle savait se montrer convaincante en règle générale, cette idée ne fit pas l'unanimité dans son esprit. Elle observa ses cernes, ses « rides » (Aubrey avait tendance à exagérer la réalité, ou à voir des choses qui n'étaient pas là) puis elle soupira lourdement avant de regagner sa chambre. Lorsqu'elle releva la tête, la présence d'un inconnu la fit hurler. - Putain, mais vous êtes qui ? Dit-elle en attrapant la première chose qui lui passa sous la main : Une écharpe Burberry qui trainait sur une chaise. L'homme rit de bon cœur. - Vous comptez m’assommer avec une écharpe ? Il rit encore. Aubrey posa son regard sur ce qu'elle tenait, énervée par le ridicule de la situation et par le rire de cet homme qu'elle ne connaissait pas et qui était entré chez elle par effraction. Désemparée, à moitié nue et vulnérable, elle commença à lui envoyer au visage tout ce qui trainait et qu'elle était en mesure d'attraper. - Arrêtez, arrêtez... Je suis votre nouveau garde du corps ! C'est votre fiancé qui m'a engagé ! Il riait encore, s'amusant à éviter les projectiles. - Il a fait ça ? Elle trouvait l'attention presque mignonne, si seulement elle n'avait pas été aussi exaspérée. Elle fronça les sourcils, défiant l'inconnu du regard. - Il aurait pu me trouver un modèle digne de ce nom. Musclé et plus grand. Un garde du corps, quoi. Je ferai mieux de me défendre seule, ça ira plus vite, lâcha-t-elle de son air le plus dédaigneux. L'homme afficha un sourire narquois. - Oui, j'ai bien vu ça... L'ironie, Aubrey connaissait cela. Mais elle n'aimait pas trop qu'on en fasse usage à son égard. - Et vous ne pouviez pas attendre un moment plus propice ? Vous ne voyez pas le problème à m'attendre pendant ma douche ? Elle leva les yeux au ciel, exaspérée. - Si, mais je me suis dit que quitte à travailler pour une chieuse, autant se rincer un peu l'oeil.