sleight of hand and twist of fate / sam

Max hésita pendant de nombreux jours à retourner au journal. Et pourtant durant chacun de ses jours, un email l’attendait lui rappelant spécifiquement de retourner au journal ; une histoire de papiers. Max aussi doué pour la fuite qu’un voyou en cavale réussit à ignorer ces appels du pied le plus longtemps possible. Mais la date butoir arriva et il dut se rendre à l’évidence : il devait s’y rendre, que cela lui plaise ou non. Ce matin là, il prit une longue douche brulante, se motivant ainsi à la journée qu’il allait affronter. Il fuma deux cigarettes tout en buvant son café et en lisant son journal. Il prit son temps, tenta de se relaxer au maximum, en vain. Après avoir enfilé un t-shirt blanc et ses boots élimées, il se saisit de ses clés, fourra son portable dans sa poche et claqua la porte de cet appartement décrépit. Après son départ pour la Syrie et le déménagement de Sam, toujours sur un coup de tête, il avait décidé de tout liquider, mettre fin au bail de ce bel appartement qui lui rappelait trop la jeune femme, se débarrasser de ses meubles, de son passé. Qu’il reste 6 mois, un an ou des années en Syrie, il trouverait toujours un autre endroit, de nouveaux meubles, il n’avait pas besoin de tout ça. Et en effet, à son retour de Syrie, il avait retrouvé ce studio aux odeurs de friture, sombre et miteux qu’il lui convenait. Il n’avait besoin que d’une table, d’une chaise et d’un lit pour vivre et c’est exactement ce que lui offrait ce deux-pièces.

Sur le chemin qui le menait au journal, Max se laissa imprégner par les images familières du métro, des rues. Chaque occasion était bonne pour ressasser le passé, ses fantômes, et ses images sépias de ces années bonheur. Et à chaque fois c’était son visage qui revenait, qui hantait ses nuits, occupait ses jours, était tatoué sur l’écran de ses paupières. Toujours dans un coin de sa tête, Sam ne le quittait jamais, et pourtant, Max avait tout fait pour. Il en avait rencontré d’autres, s’était séparé du moindre objet pouvant la rattacher à lui, se convaincant qu’il n’était pas un home qu’on attache. Pourtant Sam avait fait bien pire : elle l’emprisonnait, malgré son absence. Elle était omniprésente en dépit des kilomètres, en dépit des mois passés, en dépit des femmes dans son lit. Aucune n’avait sa saveur, sa grâce, son aura, son intelligence. Aucune n’arrivait à sa cheville. Et pourtant, Max refusait de l’admettre. Il rejetait le regret avec violence, s’interdisait le remord.  Sam appartenait au passé. Max devait aller de l’avant. Et pourtant, quand il entra dans cette salle de rédaction bondée, en ébullition, il sentit une boule obstruée sa gorge et le stresse lui tordre les intestins. Et si elle était là, si elle le croisait, que dirait-elle ? Et alors qu’il tournait la tête pour observer la frénésie familière de cette salle de rédaction, il croisa son regard. La révélation lui apparut enfin : il regrettait, il avait besoin d’elle, l’aimait et n’avait jamais cessé de l’aimer. Il la reconquerrait.

Le monde venait de s’arrêter. A peine avait-il croisé son regard que son cœur s’était stoppé. Seul comptait le regard de Sam, son visage, ses cheveux. La scène lui paraissait surréaliste après cette dernière année d’absence. Elle était là, au milieu de ces personnes et de ce vacarme, et Max n’avait qu’une envie : s’approcher d’elle. Mais à peine avait-il pu l’observer de l’autre bout de la salle de rédaction que déjà Sam filait. Elégamment, elle s’éloigna, l’air contrariée, pour rejoindre son bureau. Devait-il la suivre ou la laisser lui échapper une nouvelle fois ? Après tout il le méritait après avoir rompu brutalement avec elle. Les souvenirs de leur rupture lui revinrent en mémoire et un sentiment de culpabilité l’envahit. Il avait été un sombre idiot. Délaissant la tâche pour laquelle il était venu au journal, il changea de direction et traversa d’un pas décidé la salle de rédaction aux trousses de Sam. En quelques pas, il atteint l’embrasure de la porte, l’observa alors qu’elle se retournait vers lui, jetant un regard courroucé en sa direction. Il s’appuya contre le chambranle de la porte, souhaitant ne pas s’imposer. Un silence pesant s’installa entre eux alors qu’ils se jaugeaient du regard. Après ce qui lui parut une éternité, Max se décida à enfin prendre la parole. – Salut Sam, ça fait longtemps… Sa voix était rauque de ne pas avoir parlé depuis son réveil. Il se racla la gorge comme pour chasser le reste de rugosité dans sa voix (et dans son âme), essayant de paraître sous son meilleur jour pour Sam (peine perdue). C’était presque douloureux de la voir après tout ce temps, aussi radieuse et belle qu’au premier jour. Elle n’avait pas changé, elle était toujours la même. Belle, digne, gracieuse. Max se demanda ce qui lui avait pris de tout arrêter ainsi, sans préavis, sans explication. Et puis il se souvint de sa fierté trop grande, de sa peur d’être quitté, de son manque de confiance en autrui. Après tout, Sam était une femme trop belle pour lui, trop intelligente et sa peur d’être trompé ou quitté était toute justifiée à ses yeux. – J’ai lu ton dernier article sur la campagne présidentielle, très intéressant. Il n’aimait pas son ton ; il avait l’impression d’être condescendant, trop sur de lui alors qu’il n’avait pas réellement écrit depuis des jours et qu’il pensait sincèrement qu’elle avait un don pour l’écriture. Alors Max s’empressa de changer de sujet comme pour faire disparaître toute trace d’amertume : - Comment ça va depuis… la dernière fois ? Il espérait entendre qu’elle était heureuse de le revoir, qu’elle l’avait attendu depuis si longtemps mais ce n’est pas ce que Max pouvait lire dans ses yeux. Elle le détestait. Ce qui lui brisa le cœur.