the way i loved you. (mara)

Ses mains s’activent à la préparation du diner – l’une des rares choses qu’il fait mieux qu’elle, la cuisine. Il se concentre sur sa découpe et la surveillance du plat en train de dorer sous les plaques de cuisson, ne serait-ce que pour tenter d’étouffer le feu intérieur qui le dévaste. Depuis des semaines, il essaie de se convaincre que l’histoire de Mara avec son ancien petit ami n’est pas son histoire à lui. Que c’est le problème de Mara, qu’elle ne partage pas avec lui. Malgré tout, les effluves du malaise de sa copine, les montées électriques de son désespoir, il ne peut les ignorer. La culpabilité dont s’entoure Mara comme d’un plâtre l’empêchant de bouger le rend malade. Comment peut-elle s’en vouloir d’avoir continué à avancer ? Comment peut-elle se convaincre qu’elle a « abandonné » cet homme ? Est-ce abandonner quelqu’un que de ne pas céder à la tentation de mourir avec lui ? De passer un temps infini  à faire du surplace ? Hier encore, elle a pleuré. Dans un recoin où elle se croyait seule et dans un silence qu’elle croyait complet. Faux. Il l’a vue et il l’a entendue comme si elle avait sangloté à son oreille. Il en a frappé l’oreiller de ses poings jusqu’à en faire jaillir les plumes. Elle ne l’a pas dit mais il sait qu’elle est allée le voir. Qu’elle a frappé à sa porte en amenant avec elle le poids de sa culpabilité. Il sait aussi que si elle a tant pleuré, c’est parce qu’elle s’est faite rembarrer. Il a pris soin de demander quelques informations de premières nécessités à Wes. « Il ne veut plus la voir, il lui en veut terriblement, Dom, tu dois comprendre qu’elle va être off pendant un moment. » Cette seule information avait suffit à l’écoeurer. Mara avait toujours été claire. Dès le début de leur relation, elle avait informé Dom de sa situation. Elle n’avait jamais cherché à maquiller sa cicatrice, elle avait vécu en portant sur elle, bien visible, la béance de sa douleur, de Sa disparition. Elle s’était autorisée un semblant de bonheur. Elle avait commis l’irréparable aux yeux des égoïstes : essayer de vivre, quand survivre ne suffit plus. En tant que militaire ayant voué son existence à sauver des vies, il l’avait évidemment accompagnée sur ce chemin. Jamais il n’aurait imaginé que l’ex petit ami puisse claquer la porte au nez de celle qui ne l’avait jamais, jamais oublié. Voir sa Mara dans cet état de surcharge émotionnelle, la voir se molester pour un crime dont elle était innocente, ce n'était plus supportable. Quand Mara rentrait cependant, il enfermait ses pensées à double tour dans son esprit et recommençait le même cinéma que chaque soir, la même hypocrisie. Aujourd’hui encore, comme hier et sans doute demain, Dom ferait semblant de n’être au courant de rien. Ça n’est pas ton histoire, vieux, semblait le sermonner sa conscience. Ce n’est qu’au moment où, après avoir servi le repas et s’être assis en face d’elle, Dom réalise que continuer cette vie ne sera pas possible, qu’il se décide enfin à faire quelque chose. Sa main repose sa fourchette contre l’assiette dans un tintement trop solennel à son goût. Le visage neutre que lui sert Mara, son expression aimable renfermant l’ouragan qui l’habite, il ne pourra pas le regarder encore longtemps. Ses yeux sondent ceux de sa copine, y cherchant peut-être une réponse non dite qui leur éviterait d’avoir cette discussion. Mais le regard de Mara est insondable, trop profond. Un soupir s’échappe d’entre les lèvres de Dom. Il n’a plus faim. — Tu penses qu’on va continuer comme ça longtemps ? La question, son ton de reproche lassé, est sortie toute seule. Il s’en veut dans la seconde qui suit et rattrape sa fourchette pour dessiner des rainures dans sa nourriture. — Désolé, mon ange. Il relève les yeux vers elle. — Depuis des mois, on fait les choses ensemble ; on l’a toujours fait, même quand c’était dur, et là… Là, tu me laisses seul avec mon imagination. Je veux pas imaginer ce que tu vis. Je veux le vivre avec toi. Tu le sais, non ? Elle le savait, en tout cas. A présent, plus rien ne lui paraît certain.

Sa vie a pris cette tournure inattendue, celle qui ne laisse pas indifférente, celle qui fait peut-être encore plus mal. Ralph s'est réveillé de ce sommeil qui l'a éloigné d'elle il y a cinq ans. Il est réveillé et les choses n'en sont que plus compliquées. Elle est heureuse de le revoir, mais la réalité les a vite rattrapé quand elle a dû lui dire tout ce qui s'est passé depuis qu'il est parti. La part la plus difficile a sans doute été de lui annoncer qu'elle avait fini par continuer sa vie et surtout... qu'elle avait rencontré quelqu'un. La sentence a été immédiate, il ne veut plus la voir. Et pourtant, pourtant Mara se montre têtue et a essayé une nouvelle fois de le voir. Grand mal lui en a pris puisque comme elle le pensait, cela ne s'est pas bien passé. Pire encore, cette dernière rencontre a sonné la fin officielle de leurs relations puisqu'elle lui a rendu sa bague de fiançailles, objet symbolique aux yeux des deux anciens amants, objet promettant aux yeux du monde leur amour. Bien sûr leur relation est terminée depuis longtemps, pour Mara. Depuis qu'elle est partie, depuis qu'elle a rencontré Dom. Mais réaliser que cette séparation est bien réelle et qu'elle est irréversible a été un coup dur pour la jeune femme. Elle a eu l'impression de perdre Ralph une seconde fois, de devoir se séparer de lui, encore une fois. Ces faces à face avec Ralph, Mara n'en a parlé à personne, encore moins à Dom envers qui elle se sent coupable. Coupable car elle semble n'être devenue qu'une ombre au cours des derniers mois qui se sont écoulés. Il ne mérite pas ça, certainement pas et pourtant, elle ne peut pas s'empêcher d'agir de la sorte.
Aujourd'hui encore, face à Dom, elle tente de faire bonne figure, mais elle la sent, cette espèce de tension qui est apparu entre les deux compagnons. Elle essaye de faire abstraction, en le regardant cuisiner, elle lance quelques phrases en l'air, comme si de rien était. Elle essaye de se mettre totalement dans leur univers, dans leur histoire, mais une partie d'elle est encore meurtrie à cause de sa dernière entrevue avec Ralph. Mais elle essaye, autant qu'elle peut. Comme à leur habitude, les deux s'assoient l'un en face de l'autre. Mais ce soir, l'atmosphère est différente, elle est plus chargée. Quand Dom repose sa fourchette qui fait un tintement théâtral, Mara pose ses yeux sur son visage. Déjà, les yeux de son conjoint sont sur sa silhouette, sur son visage, comme s'ils étaient à la recherche de quelque chose. Elle pourrait être mal à l'aise, d'être regardé de la sorte, mais ce n'est pas le cas, pas avec Dom. De plus, une part de son esprit n'est pas vraiment ici, elle est terrée, sous une montagne de souvenir, de sentiment, de réflexion. Elle est épuisée Mara, une journée, rien qu'une journée seulement, elle aimerait pouvoir mettre sa vie sur pause. Elle aimerait ne pas avoir à penser ou à ressentir quoi que ce soit. Mais elle ne peut pas. Un profond soupir de la part de Dom lui permet de revenir entièrement à la situation présente et un léger froncement de sourcil souligne son incompréhension. — Tu penses qu’on va continuer comme ça longtemps ? Son estomac se sert en même temps qu'elle repose sa propre fourchette et que sa mâchoire se sert. Elle aimerait mimer l'ignorance, mais ce serait manquer de respect à Dom, à leur histoire, à ce qu'ils ont déjà pu vivre ensemble. Elle voulait simplement s'imaginer, que Dom ne se rendait pas compte que les choses avaient changé. Elle aurait préféré. Mais il s'est rendu compte de tout, bien sûr. Il l'a toujours fait. — Désolé, mon ange. Leurs regards se croisent un instant, un instant de plus où le silence règne dans la pièce. Tu n'as pas à t'excuser. Qu'elle lance, dans un souffle. Comment pourrait-il s'excuser, alors que dans leur histoire, il n'a rien fait de mal. S'il y a une personne qui devrait s'excuser, c'est bien elle. D'être absente ces derniers temps, de garder dans ses pensées le fantôme de son passé, de Ralph. S'excuser de lui faire subir tout ça, quand il n'a rien demandé. Mais la gorge de Mara s'assèche, l'empêchant de dire quoi que ce soit. Après tout, par où pourrait-elle bien commencer. — Depuis des mois, on fait les choses ensemble ; on l’a toujours fait, même quand c’était dur, et là… Là, tu me laisses seul avec mon imagination. Je veux pas imaginer ce que tu vis. Je veux le vivre avec toi. Tu le sais, non ? La culpabilité de Mara refait surface face à ce discours de Dom. Il veut être présent pour elle, comme il l'a été dans le passé. Il veut l'aider à dépasser tout ça. Il veut qu'elle lui parle. Mais Mara se mure dans un silence, comme elle l'a toujours fait. Je sais.. Je sais. Elle baisse les yeux, honteuse. C'est juste que.. que je ne veux pas t'imposer ça. C'est mon passé. Et ça ne devrait pas être un frein à notre histoire. Qu'elle dit finalement, en osant le regarder de nouveau dans les yeux. Et pourant. Qu'elle aurait dû rajouter. Mais elle ne l'a pas fait. C'est juste... compliqué. Qu'elle dit doucement, avant de secouer la tête. Compliqué. Comme si ce mot à lui seul, pouvait expliquer la situation. Si seulement il le pouvait.