written in the stars (james)

and I don't want to forget
how your voice sounds

Elle en était presque devenue obsédée. Depuis qu'elle avait revu James, elle n'avait cessé de vérifier son téléphone en attendant son appel, imaginant des milliers de scénarios dans lesquels il n'avait pas envie de la revoir, ou il était trop occupé pour elle, ou encore il aurait perdu son numéro. Quelle idiote, elle aurait dû lui demander le sien. Mais il avait appelé, et le cœur de Maisy avait fait un bond dans sa poitrine lorsqu'elle avait vu le numéro inconnu s'afficher sur son écran, puis entendu sa voix au bout du fil. Elle en était presque au point de se pincer toutes les heures pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas, en attendant leur rendez-vous, chez lui pour un dîner, qui à son goût n'arrivait pas assez vite. Elle avait précieusement accroché le morceau de papier sur lequel elle avait griffonné son adresse au frigo, adresse qu'elle avait pris le temps de vérifier sur internet, et qui lui confirmait que James vivait dans un endroit luxueux. Elle fixait son visage dans le reflet de la vitre, à quelques mètres de l'entrée de l'immeuble, repassant sa robe de ses doigts tremblants. Elle était nerveuse, à en juger l'hésitation au moment de sonner. Il ouvrit, le son de sa voix déformé par l'interphone, ce qui fit sourire Maisy, et elle grimpa dans l’ascenseur, le cœur battant. Elle prit une grande inspiration avant de cogner trois fois contre le bois de la porte d'entrée, et lui offrit son plus grand sourire lorsqu'il ouvrit. - Salut. Elle n'était pas sûre de savoir ce qui provoquait cette sensation, mais elle avait l'impression que ses jambes allaient lâcher. Sans doute l'excitation de revoir son meilleur ami d'adolescence, avec qui elle espérait retrouver cette relation spéciale. - Je voulais apporter le dessert, mais tu connais mes talents de cuisinière. Elle marqua une pause, lâchant un petit rire, et ajouta : - Du coup, j'ai amené du vin. Elle tendit la bouteille, et puis elle se sentit ridicule, du fait que premièrement, elle n'aimait même pas réellement le vin, et deuxièmement, la bouteille qu'elle avait acheté était loin de correspondre à tout ce qui l'entourait. - Enfin c'est pas… Elle ne termina pas sa phrase, se contentant d'entrer, envahie par l'envie de se réfugier dans les bras de James en découvrant l'immensité de son appartement. Elle resta un moment à fixer la pièce dans laquelle elle se trouvait, sans bouger. - C'est… Grand. Elle détourna difficilement son regard pour se tourner vers son hôte.

Elle était partagée entre l'impression de revenir dix ans auparavant, lorsqu'ils étaient inséparables, et celle d'être dans un environnement inconnu, avec quelqu'un qu'elle connaissait qu'aux trois quarts. Il y avait un trou de neuf ans entre elle et lui, un fossé, qu'elle espérait plus que tout au monde voir disparaître, et ce le plus vite possible. - N’hésite pas à t’asseoir Mai, fais comme chez toi ! Elle sourit timidement, s'avançant vers les canapés et la table basse sur laquelle il avait posé tout ce qu'il fallait pour ce début de soirée, le coeur s'emballant au son de sa voix prononçant son surnom. Il était le seul à l'appeler comme ça. Elle fut un peu surprise de tous les efforts qu'il avait mis dans l'ambiance, et ça lui permit de se sentir moins mal à l'aise. Elle s'assit sur le matelas moelleux, et laissa James s'asseoir près d'elle. - Je suis tellement heureux que tu sois venu, je suis encore incrédule de t’avoir retrouvé. Elle rit légèrement, et pris le verre qu'il lui tendait. - J'ai cru que tu ne m'appellerais jamais, avoua-t-elle dans un sourire timide. Elle se leva en même temps que James, et tendit son verre vers le sien. - À nous, renchérit-elle, tout sourire, persuadée désormais que cette soirée serait la meilleure depuis neuf ans. - Comment se sont passé ces neufs dernières années pour toi alors ? Elle cligna des yeux, étonnée qu'il entre dans le vif du sujet si vite, mais tout aussi ravie. Elle crevait d'envie de savoir ce que lui avait fait toutes ces années, sans elle. - À vrai dire, commença-t-elle en se rasseyant, rien de très exaltant. Et puis, elle se força à mentir. Encore. Parce qu'elle aurait voulu lui avouer qu'elle n'était pas qui il croyait, mais trop effrayée qu'il la repousse pour le faire. - Tu sais, les études, le travail. Pas grand chose de plus. Des personnes qui vont et viennent. Elle haussa les épaules, buvant une toute petite gorgée du vin bon marché qu'elle avait amené. Elle avait eu des relations, c'était ce qu'elle insinuait. Et aucune n'avait jamais été assez sérieuse. Au bout de quelques mois, voire quelques semaines parfois, chacune de ses quelques relations se terminait mal. - Et toi? Je veux tout savoir. Elle s'approcha de quelques centimètres, sans même s'en rendre compte. Et appuya son menton dans le creux de sa main, réflexe qu'elle avait toujours eu lorsqu'elle attendait une longue histoire intéressante. - Comment tu as su que tu voulais opérer des enfants? Elle aurait aimé être là, sentir sa peau sur la sienne lorsqu'il l'aurait tiré par le bras dans l'excitation, et lui annoncer dans une explosion de joie qu'il avait trouvé ce qu'il voulait faire, réellement. Elle aurait aimé être dans la foule, lorsqu'il avait obtenu son diplôme, sans doute avec honneurs, pleurant à chaudes larmes de fierté. À la fin de son premier jour de travail, de sa première opération, là quand il lui aurait annoncé qu'il avait trouvé quelqu'un - ou peut-être pas, là à chacune des étapes qu'il avait vécu ces neuf dernières années. Toutes ses aventures, ses joies et ses chagrins, quand elle, elle se contentait d'enchaîner des jobs temporaires. Pendant neuf ans.

Maisy se demandait si, comme elle, il avait pensé à eux chaque jour depuis qu'il était parti. S'il faisait des rêves, lui aussi, ou parfois des cauchemars. S'il lui était arrivé de ressentir le besoin intense de lui raconter quelque chose qu'il avait vu, lu, entendu. Elle l'espérait. Parce qu'elle, même lorsqu'elle refoulait tout ça au plus profond d'elle, elle savait qu'il occupait toujours une place dans son crâne, comme incrusté malgré tous ses efforts pour passer à autre chose. Il était là, à quelque centimètres d'elle, et comme quelques jours auparavant au café, elle avait l'impression d'être baignée dans sa chaleur, d'être attirée comme un aimant. Mais elle se contentait de le fixer, détaillant chaque émotion dans ses yeux, ses lèvres qui lui racontaient ce qu'il avait fait sans elle. Elle ne disait rien, elle en pensait beaucoup. Il avait failli être marié, engagé dans une relation sacrée qui parut comme un coup de poignard dans le coeur, plus violent encore que la première fois qu'elle l'avait entendu dire ces mots. Mais comment pouvait-elle lui en vouloir? Elle n'avait aucunement le droit d'espérer qu'il aie passé ces neuf dernières années à ne rien faire d'autre que penser à elle. C'était si égoïste, presque malsain, quand elle était aussi fautive que lui dans leur abandon. Et, il ne s'est pas marié. Pour une raison qui lui échappait, mais qu'elle s'efforçait de chercher dans le bleu de ses yeux, il avait décidé de quitter sa fiancée. Elle posa sa main sur son genou, presque par réflexe, se voulant rassurante sans doute. - C'était sûrement pour le mieux. L'important, c'est que tu ne regrettes pas cette décision. Elle espérait qu'il ne regrettait pas, elle espérait qu'il était heureux comme ça, le coeur libre. Et puis, il parla de ce petit garçon. Jason. La raison pour laquelle il avait choisi cette voie. Il en parlait comme si elle était la première personne à entendre cette histoire, ses yeux débordant d'émotion. Elle sourit, avec douceur. Il était James, celui qui pense aux autres avant lui-même, celui qui sacrifierait tout pour ceux qu'il aime, celui qui se dirait, en sauvant une vie, qu'il en sauvait peut-être des dizaines d'autres. Celui qui avait fait comprendre à Maisy que, lorsque l'on meurt, tout autour de nous est affecté, qu'on veuille le croire ou non. Elle en frissonna, en entendant la passion avec laquelle il exprimait chaque mot. Elle eut l'envie soudaine de pleurer, regrettant de ne pas avoir été là quand ça s'était produit. Plus elle le regardait, plus les remords la bouffaient de l'intérieur en imaginant ce qu'il auraient pu être. - A vrai dire ce jour là je me suis demandé si Jason avait lui aussi sa Maisy. Et je me suis dit que si j’arrivais à le sauver, peut-être que lui ferait mieux avec sa meilleure amie. Elle sourit, un peu amèrement peut-être, sentant dans ses mots les reproches qu'il se faisait à lui-même. - James, c'est pas seulement ta faute. Je veux dire, pour... Nous. On a fait des erreurs, tous les deux. Elle s'approcha de nouveau de lui, consciemment cette fois-ci, et lui sourit. - Jason... Est-ce que tu l'as sauvé? Elle priait de toutes ses forces qu'il l'avait fait, qu'elle ne posait pas une question délicate, qu'elle ne réveillerait pas de mauvais souvenirs. Elle était déjà un mauvais souvenir elle-même.

- Aucun regret. C'était la bonne chose à faire. Son cœur s'envola dans sa poitrine, soulagée qu'il ne se sente pas lourd après avoir pris cette décision difficile. Il avait, en le faisant, abandonné une vie qu'il aurait pu avoir, comme ils l'avaient fait tous les deux auparavant, et elle espérait simplement qu'il n'aurait pas les mêmes remords. Parce qu'elle le voyait, c'était évident, tout son être criait à quel point il s'en voulait d'être parti. Maisy, elle voulait étouffer tous ses regrets dans ses bras, les faire disparaître d'un sourire, mais ça ne serait jamais aussi facile. Ils avançaient, petit à petit, vers la relation qu'ils entretenaient avant ce foutu baiser. Quand tout était facile, quand ils n'avaient aucune crainte de parler. Elle était heureuse, qu'il ne lui mente pas sur ses fiançailles, qu'il lui en parle. Pas comme elle, elle lui avait menti sur qui elle était. Il était devant elle, à cœur ouvert sur cette femme qu'il avait sans doute aimé au point d'imaginer faire sa vie avec, mais qui, pour une raison quelconque, n'avait pas été la bonne. Il ne mentait pas. - Tant mieux, alors. Elle ne le comprenait peut-être pas, mais elle était soulagée, d'être certaine qu'il n'avait aucun regret d'avoir mis fin à cette relation. Elle avait toujours été possessive, inconsciemment, lorsqu'il s'agissait de James. Lorsqu'il parlait à une fille, au lycée ou à la fac, elle faisait semblant que tout allait bien, quand son esprit entier bouillonnait de jalousie. Mais elle avait réussi à la faire taire, au point de ne plus la ressentir. Jusqu'à aujourd'hui, en pensant à cette femme entre ses bras. - Peut être que si j'avais assumé mon geste, tu serais restée dans le coin. Elle attrapa dans un élan ses doigts, et les serra dans les siens, cherchant de ses yeux à capter son regard, dans l'espoir d'y faire passer tout ce qu'elle pensait. Elle se voulait rassurante, de son sourire et de son regard. De sa voix, aussi. - On peut pas changer ça. Tout le monde fait des erreurs. On en a payé le prix, on ne peut pas effacer ça. On doit juste... Avancer. Pourtant, elle l'aurait voulu. Retourner dans le passé, changer ce moment, et le garder près d'elle pour toujours. Mais peut-être que, s'ils n'avaient pas partagé ce baiser, ils auraient tout de même fini par s'éloigner. Peut-être qu'il aurait rencontré quelqu'un, avec qui il se serait réellement marié. Peut-être qu'elle n'aurait tout de même pas continué ses études d'infirmières. Et sans aucun doute, ils ne seraient pas là, sa main dans la sienne, l'impression de revivre leur première rencontre. Il s'était passé tant de choses, entre temps, des petites choses insignifiantes du côté de Maisy, des vies sauvées du côté de James. - Oui, j'ai réussi. Ça n'a pas été simple mais il s'en est sorti. Elle se contenta de hocher la tête, souriant, certainement très heureuse de l'apprendre, mais trop déconcentrée par ses yeux bleus qui la fixaient. Elle se sentait si étrange, sa respiration hors de contrôle, et elle ne bougea pas d'un cil, jusqu'à ce qu'il sorte un paquet de cigarettes et en glissa une entre ses lèvres. Elle ne l'aurait jamais imaginé fumer, bien qu'elle l'ait vu une cigarette éteinte à la main au café. Elle n'avait jamais trop apprécié ni l'odeur, ni le principe, mais c'était James. Elle secoua doucement la tête. - Non, merci. Elle pris une grande inspiration, parce qu'il lui semblait qu'elle ne respirait plus depuis plusieurs longues secondes, et recula d'un poil. - Ça fait longtemps, que tu vis ici ? Elle jeta un coup d’œil autour d'elle, à la pièce deux fois plus grande que son appartement à elle. - C'est grand. C'est très joli, aussi. Elle serra ses mains sur ses genoux, pour se concentrer sur autre chose que sur la présence de James près d'elle, qui la déstabilisait plus que jamais. Elle ne ferait jamais la même erreur que lorsqu'elle l'a laissé poser ses lèvres sur les siennes. Non, ça avait causé trop de peine et lui avait brisé le cœur.

Ils avaient toujours eu une grande alchimie, c'était indéniable. Depuis leur première rencontre jusqu'au baiser, ils n'avaient cessé de se rapprocher, discrètement, inconsciemment. Il avait fallu qu'ils se séparent pendant tout ce temps pour que Maisy se rende finalement compte de cette alchimie. Malgré elle, malgré la distance physique qu'elle voulait mettre entre eux de peur de faire une erreur qu'elle regretterait, elle n'arrivait pas à s'empêcher de s'approcher. Elle voulait le sentir tout près d'elle, prendre sa main, serrer ses doigts et sentir son parfum. A ses yeux, il ne s'agissait encore là que d'une façon de s'assurer qu'il était bel et bien là, avec elle. - Tu as raison. Il faut qu'on avance. Elle hocha la tête, heureuse de l'entendre dire, malgré la gravité dans sa voix. Il n'y avait rien de grave à avancer, à oublier. Ils étaient ensemble, désormais. Peu importe ce qu'il s'était passé avant. Elle devait s'éloigner, physiquement, ou elle craignait d'oublier de respirer de nouveau. Pourtant, lorsqu'elle le fit, et malgré le semblant de légèreté qui l'assaillit, elle le regretta presque aussitôt. Mais elle ne bougea pas, se contente d'alimenter la discussion et de s'obliger à quitter des yeux les traits de James, qu'elle n'avait cessé de regarder depuis qu'elle s'était assise sur ce canapé. - Trop grand pour quelqu'un de seul... Elle rit doucement, fixant les immenses fenêtres qui donnaient sur une vue absolument magnifique. - J'imagine. Elle, elle n'avait aucune crainte de se sentir minuscule dans son appartement. En six enjambées, elle pouvait rejoindre chacun des pièces. Et c'était bien ainsi. Pourtant, elle s'était toujours sentie un peu seul, dans ce trois pièces qu'elle connaissait désormais comme sa poche. - Ça doit faire deux, trois ans peut être. On va dire que ça a été ma récompense pour mon diplôme. Elle quitta des yeux la pièce une seconde, le temps de lui sourire. - C'est une jolie récompense. Mais elle ne s'attarda pas sur son visage, l'estomac se serrant désormais à chaque fois qu'elle le regardait. Il se rapprocha d'elle, et elle se demanda s'il l'avait fait exprès, ou s'il ne voyait pas son malaise, cette impression qu'elle avait d'être à deux doigts de tomber. Plus près il était, plus étrange elle se sentait. - Et toi tu vis où ? Loin d'ici ? Elle se leva, un peu trop brusquement sans doute, les idées embrouillées par sa présence. Que lui arrivait-il, bon sang ? En deux pas, elle se trouva derrière la vitre qu'elle fixait un peu plus tôt, et ne se sentit guère mieux. Elle hésita une seconde, serrant sans doute un peu trop fort son verre de vin. Elle refusait de lui mentir de nouveau. Certes, elle ne lui dirait pas dans quel type de logement elle vivait, mais elle ne cacherait pas sa location. - J'habite à Brooklyn. Elle se tourna pour lui sourire, de peur qu'il se sente mal de la voir s'éloigner si vite. - J'aime bien, c'est calme, et je connais bien les environs. C'est pratique, quand on a un sens de l'orientation comme le mien. Elle haussa les épaules, buvant une gorgée de vin et reporta son regard sur les lumières de New-York qui brillaient derrière la vitre. - Par contre, je ne dirais pas non à cette vue. Elle rit, faisant semblant d'admirer le paysage alors qu'en vérité, elle fixait James dans le reflet de la vitre. Puis son ventre cria famine, et c'est seulement à ce moment-là qu'elle tomba de son nuage d'émotions diverses, lourdement. James était un ami. N'est-ce pas?

- J'ai failli habiter à là bas. J'aimais bien l'esprit village qui s'y dégage. Elle sourit, hochant la tête sans quitter des yeux les toits se dessinant derrière la vitre. C'était exactement ce qu'elle appréciait, à Brooklyn. Et elle aurait voulu le partager avec James. - Oui, moi aussi. Cela dit, elle n'aurait sans doute pas supporté de découvrir qu'il habitait l'immeuble à côté toutes ces années. Après tout, l'East River les séparant, c'était pas si mal. Son estomac la ramena brusquement à la réalité, et elle se demanda s'il avait attendu qu'elle soit éloignée de James pour se manifester, ou si ça n'était qu'une coïncidence. - J'avais oublié cette faim inattendue qui t'habite. Elle grimaça, riant à son tour. - Elle ne m'a jamais quittée. Elle passait son temps à grignoter, entre les repas, malgré les slogans rabâchés à la télévision et de la voix de sa mère concernée par la santé de sa fille, qui pouvait s'enfiler une pizza entière sans broncher. Elle avait toujours eu un appétit d'ogre, et James s'en était toujours étonné. - Tu te rappelles la petite pâtisserie dans laquelle on allait en rentrant des cours ? Celle qui vendait ces religieuses au café ? Je me demande si elle est toujours ouverte... Elle sourit, se déplaçant elle aussi jusqu'à la table joliment décorée. Ils auraient pu y passer des heures, dans cette pâtisserie, à discuter de tel ou tel délice, tester les nouveautés, au point d'être devenus des habitués aux yeux du propriétaire. Elle s'assit doucement à la chaise que venait de lui tirer James, et s'installa confortablement. Il disparut dans l'autre pièce, lui laissant le temps d'observer les recoins de la pièce qu'elle n'avait jusque là pas eu le temps de découvrir. La décoration était si simple, et pourtant elle reconnaissait son meilleur ami  dans chacun des objets. - Dans mon souvenir, il n'y avait pas grand chose que tu n'aimais pas ni même dont tu étais allergique. Donc, tada ! Elle se moqua gentiment de son air théâtral d'un sourire faussement mesquin, et se pencha pour admirer le travail. Ça sentait divinement bon, et elle afficha une moue impressionnée. - Hm, oui, ça a l'air pas trop mal. Toujours penchée au dessus du plat, elle leva un regard malicieux vers James et lâcha un petit rire. - Je plaisante. Ça a l'air délicieux. J'ai jamais douté de tes capacités culinaires, James Parrish. Elles ont de toute façon toujours été au dessus des miennes. Elle plaisantait, appuyant chaque mot de sourires, sans doute pour se cacher cette sensation dans son estomac lorsqu'elle croisa son regard, qui n'avait rien à voir avec la faim qui l'assaillait. C'était drôle, neuf ans auparavant, ils auraient pu partager un dîner comme celui-ci sans aucune ambiguïté. Simplement deux amis autour d'un bon repas. Aujourd'hui, c'était différent. Si différent que Maisy refusait de l'admettre. - On attaque ? Elle attendit patiemment que James la serve, en bon gentleman qu'il était et avait toujours été, puis qu'il se soit servi à son tour, pour enfin goûter. Elle mâcha lentement, laissant intentionnellement planer le doute, parce qu'elle avait toujours adoré taquiner James. - Ok. J'avoue, je suis épatée. C'est vraiment bon.

Alors, il l'avait ressenti aussi. Ce vide dans la poitrine, cette sensation de ne pas être entier. Maisy en souffla presque de soulagement de savoir qu'elle n'avait pas été la seule à se faire bouffer de l'intérieur par le trou noir qu'il avait laissé en partant. Elle sourit, lâcha un petit rire en réponse à ses tout derniers mots. - Je n'y aurais pas cru non plus. Pourtant, Dieu sait à quel point j'en ai rêvé. Elle rougit immédiatement à ses propres mots, gênée de se les entendre dire. C'était la simple vérité, mais elle n'imaginait pas que la prononcer pouvait la mettre mal à l'aise. Depuis quand, pourquoi, était-elle mal à l'aise face à James, qu'elle connaissait pourtant mieux que personne ? Elle plongea le nez dans son verre de vin, se jetant dans un silence que James rompit rapidement. Et Maisy en avala presque de travers, obligée de poser son verre pour ne pas risquer de l'échapper. Elle le fixait, incrédule, alors qu'il continuait à s'excuser. Mais elle, elle était restée bloquée sur ce mot, caché entre mille autres. Amoureux. Non, c'est impossible. C'était… C'était James et Maisy, c'était deux amis inséparables. Il ne devait pas… Et cette foutue sensation dans son estomac qui s'intensifia, cette fois-ci c'était certain, le sol se dérobait sous ses pieds. Elle fronça les sourcils, cherchant dans le regard de James quelque chose, n'importe quoi à quoi s'accrocher avant qu'elle ne tombe. Et ce n'était pas les prises qui manquaient, mais le trop plein d'émotions dans ses yeux qui la déstabilisa d'autant plus. – Ton souvenir ne m’a jamais vraiment quitté. Oh, James. Elle se mordit la lèvre, violemment peut-être, elle avait l'impression de ne plus rien sentir que la chaleur émanant de l'homme en face d'elle. Elle laissa un silence s'installer, incapable d'effacer ce foutu mot qui, elle s'en rendait compte maintenant, l'effrayait. - Je… James, je- Je veux dire, on était amis, c'était pas… C'était impossible, James, d'être amoureux de moi. Tu ne pouvais pas, on était amis, rien de… Plus. - Pourquoi… Pourquoi tu me l'as jamais dis ? Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle voulait dire, partagée entre l'envie d'insister sur le fait qu'ils n'étaient qu'une belle amitié, et les regrets qu'elle souhaitait oublier. Elle ne savait si ça aurait pu changer quelque chose, il y a neuf ans, si elle avait su. Non, ça n'aurait rien changé. - On était des adolescents, c'était pas… Sérieux ? Elle aurait voulu le croire. Elle enfoui ses mains dans ses cheveux, fermant les yeux pour tenter de se concentrer sur quelque chose n'importe quoi. Elle n'avait plus faim, désormais, elle en était certaine, et pourtant son estomac semblait aussi vide que deux heures auparavant, que neuf ans auparavant. - James, je… T'aurais dû me le dire. Sa respiration était bloquée et elle se détestait de lui faire des reproches, parce que ça n'avait jamais été sa faute, Maisy était la fautive, depuis le début, et tout ce poids sur ses épaules, d'un seul coup, c'était trop. Et il la rendait folle, dans tous les sens du terme. Et soudain, tout changea de perspective. Leurs gestes tendres, ses regards, sa jalousie lorsqu'elle avait un petit ami, le baiser, son départ, et elle se sentit plus vide que jamais, plus malheureuse que jamais de savoir que tout ce temps passé ensemble, il avait été amoureux d'elle et elle, elle n'avait rien vu.

Elle se sentait idiote, tellement idiote qu'elle aurait voulu être foudroyée sur place et ne plus voir ce regard que James avait. Déçu, un peu en colère, surtout malheureux. Elle se détestait, elle se haïssait d'avoir ouvert la bouche pour ne faire rien de plus que le blesser. Elle se sentait si mal qu'elle en eut envie de vomir, alors qu'il laissa sa question se perdre dans le silence. C'était dingue, elle était dingue, entrain de se noyer au milieu d'un océan de peine, d'amour, de doute, tirée vers le fond par la violente culpabilité de lui avoir causé tant de peine, aujourd'hui comme tous ces mois où il était resté silencieux, où elle n'avait agi qu'en fonction de ses propres émotions, incapable de deviner qu'en fin de compte, il était amoureux d'elle. – Pardon je ne voulais pas. Non, non, non, non, il ne pouvait pas, il ne devait pas s'excuser. - Non, c'est pas… Elle était incapable de formuler une phrase entière, ses mots se figeant au bord de ses lèvres, parce qu'elle ne savait pas ce qu'elle voulait dire, ni ce qu'elle voulait tout court. Il aurait dû lui dire, elle aurait voulu qu'il lui dise, peut-être parce que ça aurait été différent, et peut-être que non. Elle n'en savait rien, elle ne savait plus et tout ce qui la submergeait, à ce moment-là, c'était la peine dans le regard de James, et sa voix qui était plus dure qu'auparavant. – Qu’est ce que ça aurait changé ? Tes sentiments n’étaient pas partagés, tu étais avec quelqu’un et je ne voulais pas tout ruiner. Ça lui fit mal, extrêmement mal, tout au fond d'elle, tellement profondément qu'elle n'en ressentit qu'une petite pointe au cœur. Elle ne pouvait pas répondre à sa question, et de toute façon il n'attendait sûrement rien de plus de sa part. Elle avait envie de pleurer, de hurler, de lui parler mais Maisy, elle ne savait même pas ce qu'elle ressentait, au-delà de la surprise. Il aurait pu le lui dire, ça aurait peut-être changé quelque chose, ils ne le sauraient jamais. Mais ici, et maintenant, ça changeait tout, et Maisy ne pouvait pas juste ignorer la bombe qu'il venait de lâcher et dont chaque éclat s'était incrusté dans son estomac. - C'est moi qui suis désolée, James. J'aurais dû… J'aurais peut-être… Elle soupira, se maudissant intérieurement de ne pas pouvoir s'exprimer correctement. Et puis ça la frappa comme une gifle, elle releva la tête, la gorge nouée par les remords, les regrets, la culpabilité, la voix frêle, fragile. - Je t'ai brisé le cœur. C'était la sentence irrévocable, le couteau enfoncé dans la plaie dont elle n'avait même pas idée de l'existence. Elle avait été tellement égoïste, tout ce temps. A le détester de l'avoir abandonné, à la maudire de lui avoir brisé le cœur alors qu'elle, elle l'avait fait depuis bien longtemps. Elle n'avait jamais mérité une once de son amitié, et encore moins son amour, incapable de le lui rendre car incapable de mettre de l'ordre dans ses propres sentiments. - Je suis tellement désolée. J'aurais dû le voir, j'aurais dû… Je sais pas, j'aurais dû ouvrir les yeux et arrêter de penser qu'à ma petite personne et je suis sincèrement désolée. Mais ils avaient grandi, désormais. Ils avaient plus de trente ans, ils n'avaient plus leur cœurs d'adolescents, et ils devaient pardonner, et oublier, et passer à autre chose. Ses yeux se posèrent sur ses lèvres, un instant, si court qu'elle s'en rendit à peine compte, et le souvenir de son parfum, de sa chaleur, de ses lèvres contre les siennes fut si vif qu'elle eut l'impression d'être de nouveau sous ce porche. Et pour la première fois depuis cette nuit-là, elle ne ressentit aucun regret.

Elle se perdait et elle le perdait, et plus elle parlait, plus il semblait s'éloigner. Il la somma d'arrêter, mais elle n'avait jamais réellement commencé. Elle avait tant de choses à dire et si peu de mots, si peu de courage. Elle était avalée par le trou dans sa poitrine au son dur de sa voix, hoquetant presque de surprise, alors qu'il relevait son regard bleu sur elle. Il devait la détester. Elle ne supporterait pas de le perdre à nouveau, mais elle était sous la surface et lui au-dessus. Et c'est là qu'il réapparut. James, son chevalier servant, accourant pour sécher la moindre de ses larmes. Il l'avait fait des centaines de fois lorsqu'ils étaient jeunes, il l'avait fait au café, la dernière fois, et il le faisait ce soir-là. Alors, n'avait-il jamais été plus que ça, plus qu'un simple ami sur qui elle pouvait reposer tous ses chagrins idiots et ses doutes inutiles. – Tu ne m’as pas brisé le cœur. Tu as été un moteur, tu m’as fait grandir et ton amitié m’a comblé. Donc Maisy, tu vas arrêter tout de suite de te blâmer parce que ce n’était pas du tout le but de cette conversation. Elle ferma les yeux, comme par réflexe, lorsqu'il posa sa main sur sa joue, et elle ravala la rivière qui menaçait derrière ses paupières avant de les rouvrir. Il était si près, si présent, elle en perdit le souffle. Elle n'avait jamais été capable de l'apprécier à sa juste valeur, sa loyauté sans failles, ses bras dans lesquels elle se réfugiait à la moindre difficulté. Ce qu'il lui avait donné allait au-delà de l'amitié, et c'était seulement maintenant qu'elle le voyait. – Je ne t’en veux pas et je ne t’en voudrais jamais. Ces choses là ne se contrôlent pas. Elle lui sourit en retour, avalant difficilement avant de parler. Parce qu'elle ne pouvait pas se contenter de sourire lorsque lui, il s'était ouvert à elle. - J'ai été stupide, de ne pas le voir. Je suis désolée. Vraiment. Elle posa à son tour sa main sur sa joue, caressant sa peau du bout de ses doigts inconsciemment conduits vers sa bouche. Elle avait le cœur serré, et le souffle court, et l'envie soudaine de poser ses lèvres contre les siennes. Elle ne bougea plus, pendant un centième de secondes qui duraient des heures, dans un silence presque apaisant, peau contre peau, comme si un simple contact physique la ramenait à la surface. - Promets-moi qu'on arrêtera de se faire de la peine. Elle plongea son regard dans le sien, cherchant la sincérité, la loyauté dont il avait toujours fait preuve envers elle, une promesse qu'ils ne tiendraient peut-être pas, qu'ils n'avaient su tenir jusqu'à maintenant, mais dont elle avait besoin. Elle se pencha lentement, déposant un baiser là où sa main avait réchauffé sa joue, et, à quelques centimètres seulement de son visage, elle sourit, profitant de chacun de ses traits avant de se reculer. Elle essuya vaguement des larmes qui n'avaient pas coulé, et pris une grande inspiration. - On a laissé refroidir nos assiettes. Elle rit doucement de sa remarque anodine, comme si cette conversation n'avait jamais eu lieu, ignorant la chaleur sur sa peau là où James avait posé sa main, ignorant l'envie qu'elle avait eu de l'embrasser, ignorant tout ce qui pouvait ruiner une relation déjà trop bancale. Mais peut-être qu'ils avaient besoin de ça, d'arrêter de se mentir, de vouloir effacer le passé. Ils ne retrouveraient jamais leur relation d'autrefois, parce qu'ils étaient différents. Mais ils étaient ensemble.

Peut-être qu'elle n'aurait pas dû déposer ce baiser sur sa joue. Peut-être qu'elle n'aurait pas dû lui demander de promettre, quand elle-même n'était pas sûre de pouvoir tenir cette promesse. Peut-être bien, même, qu'elle aurait simplement dû faire semblant de rien, lorsqu'il lui avait avoué ce qu'il ressentait des années auparavant. Peut-être, aussi, qu'elle espérait qu'ils soient toujours là, quelque part. Trop d'incertitudes, trop de questions sans réponses, auxquelles Maisy s'accrochait comme elle pouvait. Car elle n'avait rien d'autres que des doutes, perdue entre l'envie de lâcher prise et la peur de commettre les mêmes erreurs stupides. Ils étaient amis, ils l'avaient toujours été. Simplement amis, n'est-ce pas ? James, il promit. De sa voix rauque qu'elle aimait tant, de son regard débordant de sincérité, il avait promis, et elle n'avait aucune idée de l'ampleur de ces quelques mots. Elle refusait de le faire souffrir à nouveau, et pourtant semblait ne savoir faire que ça. – C’est pour ça que les micro-ondes ont été inventés. Elle sourit, le regardant d'éloigner jusqu'à ce qu'il disparaisse de son champ de vision, s'affaissant immédiatement sur sa chaise lorsque ce fut le cas. Elle expira, comme si elle n'avait pas respiré depuis des heures, et serra les paupières. Il avait une telle emprise sur elle, désormais, qu'à chaque fois qu'il était près d'elle, elle était écrasée par trop de sentiments pour en distinguer un seul. C'était si étrange, si nouveau et pourtant, elle avait la sensation que ça avait toujours été le cas. Elle sursauta presque au son du micro-ondes, dans la pièce à côté. Est-ce qu'elle devait rester là, attendre qu'il revienne, reprendre le repas comme si de rien n'était ? Est-ce qu'elle devait le rejoindre dans la cuisine et… Elle ne savait rien, elle doutait à chaque instant passé avec lui et elle détestait ça. Tout était si simple, avant. Plus le temps passait, et moins ils parlaient, et plus leurs mots avaient de sens. Trop de paradoxes, trop de doutes, trop de non-sens et d'incertitudes, Maisy n'avait aucun moyen de prévoir quoi que ce soit, de voir quoi que ce soit. Même seule, il était toujours là, incrusté dans son crâne, son visage collé à l'écran de ses paupières chaque fois qu'elle les fermait. Elle avait cru, pendant longtemps, qu'elle pouvait l'oublier. Elle s'était fourvoyée, menti, il ne l'avait jamais quittée et ne la quitterait jamais. Elle ne bougea pas, attendant qu'il revienne, un silence pesant dans la pièce. - Merci. Elle attrapa sa fourchette de sa main, moite et légèrement tremblante, et s'attela à manger du mieux qu'elle pouvait, espérant que la nourriture écraserait les papillons dans son ventre. Elle ne dit rien, incapable de formuler une pensée cohérente, incapable de trouver quoi dire. Et c'était idiot, indécent, cruel, mais elle avait envie de parler de sa fiancée. Elle n'en fit rien. - Comment vont tes parents ? Et tout le monde, d'ailleurs. Elle se demandait s'ils savaient, pourquoi Maisy n'était plus jamais venue aux repas de famille du jour au lendemain. Pourquoi ils n'avaient plus jamais entendu parler d'elle. Pourquoi elle avait brisé le cœur de leur fils, et le sien par la même occasion.

Elle avait les mains tremblantes et l'esprit embrouillé, l'image de ses lèvres contre les siennes collée à ses paupières, et l'incapacité d'oublier son odeur. Elle se sentait mal, Maisy. Trop perdue, trop peu sûre, elle avait besoin de parler de quelque chose de réel, de banal, quelque chose qui l'aiderait à mettre au moins un peu d'ordre dans ses pensées, ses sentiments peut-être. Alors, elle posa une question simple, usuelle, presque de l'ordre des politesses lorsqu'on la pose à quelqu'un qu'on n'a pas vu depuis longtemps. Elle a toujours bien aimé les Parrish. Des gens biens, accueillants, qu'elle avait l'impression d'avoir laissé derrière comme elle l'avait fait avec James. Et ça faisait d'autant plus mal. Aubrey allait se marier, et ce fut comme une claque, l'idée que la petite Aubrey puisse être sur le point d'officiellement sceller son union avec un homme. Elle écarquilla les yeux, affichant un sourire béat. - Vraiment ? C'est génial. Elle était réellement, sincèrement heureuse pour elle. Mais penser mariage lui rappelait que James aussi, avait failli l'être. Non, elle ne devait pas y penser. Il ne l'était pas, est-ce qu'elle devait s'en réjouir c'était autre chose. Mais il était là, avec elle, entrain de lui résumer en quelques mots neuf ans de vie séparée. Elle haussa les épaules, se concentrant de nouveau sur son visage, aussi étrange que ça puisse lui paraître désormais. Elle y voyait James, son James, l'adolescent avec qui elle passait tout son temps ; le James d'aujourd'hui, l'homme accompli, qui faisait sans aucun doute chavirer les cœurs ; et elle y voyait les neuf ans qui les séparaient, mais qu'elle sentait s'effacer petit à petit. - Noa a bien grandi. Il avait quoi, quinze ans, la dernière fois que vous vous êtes vus ? Il est resté Noa, avec juste neuf ans de plus et une fâcheuse tendance à se retrouver chez les flics. Elle rit doucement, elle ne comptait même plus les fois où elle avait reçu l'appel fatidique en milieu de soirée, voire début de nuit. C'était presque devenu un rituel : il s'attirait des ennuis, elle volait à son secours. - Et les parents se plaisent toujours autant ici. Rien n'a vraiment changé, finalement. La vie de Maisy avait toujours été d'une banalité hors normes, d'un ennui à mourir pour l'adolescente qu'elle était. Mais désormais, elle se plaisait dans sa routine, tout en appréciant l'arrivée de James qui bousculait tout. Elle parlait avec entrain, comme si ce qu'elle disait avait quelconque importance. Mais ses mots n'étaient qu'un moyen de détourner son attention de ce qui se passait dans son ventre quand elle regardait James, de repousser l'envie de le toucher à nouveau. Et c'était vain, elle ne cessait une seconde de fixer son visage. Alors elle tendit sa main, presque trop brusquement, pour attraper la sienne sur la table, sans un mot, comme si elle avait subitement le besoin de sentir sa peau sur la sienne, de quelconque manière. Elle rougit légèrement à son geste, bien trop impulsif pour celle qu'elle était, et son cœur se serra lentement dans sa poitrine. Elle retira sa main, l'espoir qu'il la prendrait à nouveau. - Je peux te poser une question ? Elle se mordit la lèvres, hésitante. - Ton ex-fiancée… Vous êtes restés longtemps ensemble ? Puis dans une précipitation trahissant un manque de tact évident, elle ajouta : - T'es pas obligé de me dire. Je suis juste curieuse. Curieuse, ou jalouse, cela dépendait des points de vue.

C'était rassurant, de discuter du temps qui avait passé et de se rendre compte que tout était presque resté comme avant. Elle avait espéré toutes ces années qu'elle retrouverait James, qu'elle s'en rende compte ou non, qu'il l'appellerait, qu'ils trouveraient un moyen, qu'ils étaient fait pour être dans la vie de l'autre qu'il y aurait un signe ou une autre bêtise du genre, et elle l'avait eu son signe, en plein sur sa robe préférée, quelques jours auparavant. Et depuis ça, depuis qu'elle avait posé ses yeux sur son visage, elle n'avait pas cessé de sombrer dans un bonheur sans limite mélangé à un flou total. Elle ne savait ni ce qu'elle pensait, ni ce qu'elle voulait, ni même ce qu'elle ressentait et bordel, ça lui faisait peur. C'était peut-être pour ça, qu'elle avait pris sa main si brusquement. Peut-être qu'elle espérait en le touchant que tout deviendrait clair, mais ça n'était pas arrivé, et il l'empêcha de fuir en serrant ses doigts et en caressant sa peau. Elle avait envie de se recroqueviller sur sa chaise, d'arrêter de respirer, de faire n'importe quoi sauf de rester là, sans un mot, perdue dans ses yeux bleus et dans son cœur qui n'avait cessé de battre la chamade. James avait failli se marier, et sans qu'elle n'arrive à se l'avouer, ça la torturait. Elle voulait savoir qui, quand, comment, et surtout pourquoi, pourquoi il avait renoncé à ses fiançailles, parce que ce n'était pas rien un mariage, une union, on ne pouvait pas les rompre seulement juste comme ça. - Deux ans, souffla-t-elle, comme si elle pensait à voix haute. C'était long, deux ans, et c'étaient ces deux années passées auprès d'une femme qu'elle ne rattraperais jamais. Elle se sentie bête, tout d'un coup, à lui tenir la main, alors qu'elle ne savait même pas ce qu'il ressentait pour son ex-fiancée, ni depuis combien de temps ils s'étaient quittés, et peut-être que ça ne faisait que quelque mois, et qu'elle lui avait brisé le cœur, elle aussi, et qu'en prenant sa main, là, elle ne faisait qu'empirer la chose, ou peut-être qu'il ne la lâchait pas simplement parce qu'il était malheureux et qu'elle n'était qu'une façon pour lui d'oublier. Elle paniquait, littéralement, et elle dû se mordre l'intérieur de la joue pour s'empêcher de faire n'importe quoi qu'elle pourrait regretter. – Aubrey m’en veut d’avoir tout arrêté. Elle adorait Camilla. Elle fronça les sourcils. C'était égoïste de la part d'Aubrey d'en vouloir à son frère. Il faisait des choix, et même s'ils ne lui plaisaient pas, elle n'avait aucun droit de le blâmer d'avoir rompu ses fiançailles, parce qu'elle savait certainement que James n'aurait pas décidé un truc pareil sans une bonne raison. - Elle ne devrait pas. C'est ta vie. Elle lui offrit un sourire qui se voulait rassurant, pour elle-même plus que pour lui peut-être. - Et… Ça fait combien de temps que vous n'êtes (elle marqua une courte pause, histoire de trouver ses mots) plus ensemble ? Elle se racla la gorge, avant d'ajouter dans un petit rire nerveux. - Désolée, ce ne sont pas mes affaires. Je voulais pas être indiscrète. Elle crevait d'envie de retirer sa main, et en même temps de la laisser, de partir et de rester, de parler et de se taire. C'était donc ça, l'impact qu'il avait sur elle ? Elle était perdue. Et peut-être que lui aussi.

- Ça doit faire approximativement un an et demi qu'on est plus ensemble. Elle ne savait pas si elle devait soupirer de soulagement, ou paniquer d'autant plus. Un an et demi, c'était pas si loin que ça. Et la grimace qu'afficha James ne su que la perdre encore plus, si c'était possible. Alors elle rassembla toute la nonchalance dont elle était capable, et dit simplement : - Oh, d'accord. Pourtant, il y avait trop de questions dans son esprit, et elle n'était pas certaine de pouvoir les balayer. Peut-être qu'il la fréquentait encore, c'était parfaitement probable, on voyait ça tout le temps, des couples qui se font et se défont et- stop! Elle se mordit l'intérieur de la joue pour stopper le flot de doutes qui menaçait. C'en était trop. James était un adulte, elle n'avait aucune influence sur sa vie, et de ce fait aucun droit de donner son avis sur sa vie amoureuse, ou sa vie tout court. - Tu n'es pas indiscrète. Je t'en ai parlé, ce n'est pas un secret. Elle lui sourit en retour, presque rassurée. - Je voulais juste éviter de remuer le couteau dans la plaie, ou… Elle ponctua sa phrase d'un haussement d'épaules, cette même nonchalance feinte depuis quelques secondes à peine, et qu'elle trouvait pourtant déjà rassurante. Il lâcha sa main, et elle en profita pour la reculer, parce qu'elle ne voulait plus rien risquer. C'était trop étrange, trop de doutes, de questions, et son contact était aussi rassurant qu'effrayant. - Ça t'a plu ? Tu serais prête pour une petite douceur ? Elle n'avait pas avalé grand-chose, aussi délicieux que le plat pouvait être, mais lui offrit un grand sourire. - Tu me connais, je ne pourrais pas refuser. Elle rit doucement, rangea elle aussi ses couverts sur son assiette, puis planta son menton dans le creux de sa main, secouant la tête, le cœur accélérant à ses derniers mots, mais elle l'ignora. - Non, personne. A vrai dire, les quelques fréquentations que j'ai eues n'ont jamais été assez sérieuses pour penser au mariage. Je suis maudite, sans doute. Je suis sûre que c'est à cause de la vieille dame qui habitait à côté de la fac. Elle m'a toujours parue louche, elle a dû me lancer un sort, un truc du genre. Elle lâcha un petit rire en haussant les épaules. - Tant pis, je suis aussi très bien toute seule. Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle racontait, n'en pensait peut-être pas un seul mot, et elle avait l'impression de s'enfoncer. Elle joua nerveusement avec sa serviette en tissu, et se racla la gorge, sans raison. - Tu veux de l'aide, pour les assiettes ? Retour aux banalités, éviter de le fixer trop longtemps, ignorer son cœur qui semblait vouloir s'échapper de sa poitrine. Il était comme un piège, et elle, elle était toujours à deux doigts de tomber dedans. Et le plus effrayant, c'était qu'elle avait envie de s'y jeter.