still falling for you ? maisy

Elle était stressée, Maisy. Ça se voyait à ses mains qui tremblaient, cette façon qu'elle avait de jouer avec la hanse de son sac, assise dans le métro. De vérifier sa montre, toutes les minutes. En passant devant une vitre, elle avait analysé son reflet en trois secondes. Passé sa main dans ses cheveux, tiré sur son pull. Elle regrettait, désormais, de ne pas avoir passé plus de temps à choisir sa tenue. Pourtant, juste avant de partir, il ne lui était pas venu à l'esprit une seconde qu'elle devait faire attention à ce qu'elle porterait. Elle était bien trop pressée, enthousiaste, une petite bulle de joie pour se soucier de son apparence. Mais plus Central Park s'approchait, plus la boule dans sa gorge s'élargissait, sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi. Elle y pensait, un peu trop peut-être, en avançant dans l'immense parc qu'elle connaissait si bien. Ses pas allaient tout seul, la mémoire faisait des miracles c'était certain. Trop de miracles, peut-être, car depuis qu'elle avait quitté James, quelques jours auparavant, elle avait été submergée d'une vague de souvenirs. Des moments, entre eux, qu'elle ressentait différemment aujourd'hui, qu'elle ne comprenait pas, ne comprenait plus. Elle s'arrêta un instant lorsqu'elle aperçut sa silhouette, près de la fontaine, simplement pour le regarder, le sourire aux lèvres, le cœur battant, les mains moites. Elle s'approcha finalement, le pas assuré, les doigts serrés autour de la bride de son sac. James semblait ailleurs, concentré sur autre chose, le regard fixe, brillant, si bien qu'elle ne pensait pas qu'il l'aie vue arriver. Elle posa sa main sur son bras, et son sourire s'agrandit lorsque ses yeux rencontrèrent les siens. - James. Elle perdait ses mots, sans s'en rendre compte. Elle perdait tout, sa politesse, sa bienséance, ses moyens, sa raison. Elle déposa un rapide baiser sur sa joue, geste spontané auquel elle ne pensa même pas après. - Comment tu vas ? Je suis un peu en retard, je crois. D'une minute, à peine, mais une minute de retard, c'était une minute de moins à passer avec lui et ses yeux bleus, sa barbe de trois jours, son sourire immense et ses cheveux bouclés. Elle échappa un petit rire nerveux, et se rappela de respirer. - Ça me fait plaisir de te voir.

Elle agissait sans réfléchir, avec James, comme s'ils ne s'étaient jamais quittés. C'était l'impression qu'elle avait, depuis que leurs chemins s'étaient croisés à nouveau – elle ne croyait pas au hasard, elle était persuadée qu'il s'agissait là d'un signe du destin. Elle jeta un rapide coup d’œil à sa montre, et grimaça. Elle n'était pas en retard, ou à peine, et pourtant il lui semblait qu'une éternité avait passé depuis qu'elle avait quitté son appartement une vingtaine de minutes auparavant pour le rejoindre ici. Elle attrapa son bras avec joie, sautant sur n'importe quelle occasion de le toucher, comme si elle en avait besoin. - Moi aussi, j'avais hâte, confia-t-elle d'une petite voix timide, presque gênée par ses mots. Depuis la dernière fois, il n'avait pas quitté ses pensées, s'installant dans son crâne soir et matin, au point qu'elle avait senti le besoin de se changer les idées de quelconque façon, en pensant que ça lui permettrait de penser à autre chose. Ça avait été une jolie erreur, car elle avait tenu dix minutes avant de déballer toute l'histoire à son amie psychologue, qui l'avait écoutée un large sourire aux lèvres. Depuis, ça avait empiré. Et, comme si elle en acceptait inconsciemment tous les risques, elle n'avait pas cherché à le fuir, mais plutôt à le trouver, le plus vite possible, le plus longtemps possible. Ils marchaient côte à côte, et le simple contact de son pull son ses doigts la rendait heureuse. Purement, et simplement, elle baignait dans une mer de plénitude, elle planait presque, Maisy, le sourire niais au visage, l'âme naïve d'une adolescente vivant son premier rendez-vous. On les regardait, les passants les observaient marcher bras dessus dessous, et elle aurait pu en rougir tant elle en était heureuse. Elle ne pouvait plus le nier, tout avait changé depuis son retour. Mais pourtant, elle se bornait à essayer de penser à autre chose, de penser à James comme un vieil ami, simplement, de peur de reproduire les mêmes erreurs, de le perdre à nouveau. Elle l'écouta parler, le regard rivé au sol, un large sourire au visage, des yeux nostalgiques d'une époque qui semblaient si lointaine et pourtant si proche. Elle lâcha un petit rire se remémorant leurs après-midi prétendues de révisions qui se terminaient en simple après-midi à ne rien faire. Mais à l'époque, ça semblait être le mieux, ces heures allongés l'un à côté de l'autre, à discuter de tout et de rien, c'était simple et c'était tout ce dont elle avait besoin. Elle serra doucement ses doigts autour de l'avant-bras de James, relevant son regard vers le sien, s'y perdant un instant, ou peut-être qu'elle y était déjà perdue, depuis longtemps, et sourit. - J'ai l'impression d'avoir dix-huit ans à nouveau. Elle rit doucement, le cœur emplit de tout alors qu'il admettait ne pas avoir cessé de penser à elle. Elle aurait pu s'arrêter, là, au milieu de Central Park, et lui dire maladroitement tout ce qu'elle avait sur le cœur. Mais elle n'était pas prête. Pas certaine. Pas encore. Elle marcha tout d'abord sans un mot, et puis, le regard voguant d'arbre en arbre, comme pour éviter le sien, elle parla d'une voix douce et presque lointaine. - J'ai l'impression que rien n'a changé, finalement. Comme si tu n'étais jamais parti. Même cet endroit, c'est comme si ces neuf années ne s'étaient jamais produits. Puis elle tourna son visage vers le sien, et lui sourit de nouveau. - C'est agréable, comme sensation.

Maisy était dans un déni les plus total, fermant les yeux sur tout ce qu'elle avait pu comprendre de ses sentiments pour James. Elle n'était pas prête, elle avait peur, et pourtant elle ne pouvait nier le bonheur entier qu'elle ressentait chaque fois qu'il était dans les parages. C'était comme si elle n'était entière qu'en sa présence, lui et ses yeux bleus, ses boucles et son petit sourire en coin. Elle rit doucement à ses mots, secouant la tête comme s'il venait de dire une bêtise. - On a juste pris dix ans dans les dents, mais c'est un détail. Elle le poussa de l'épaule pour le taquiner, et releva les yeux vers lui. Elle avait l'impression d'avoir été envoyée dans le passé, mais son regard avait changé sur tout ce qui touchait à James. Il n'était plus le simple ami qu'il avait été. - Je me dis que peut-être que ces neuf dernières années auront été bénéfiques. Je veux dire, tu sais, se quitter pour mieux se retrouver. Elle resserra son bras autour du sien, comme pour s'assurer qu'il ne disparaîtrait pas, et ferma les yeux lorsqu'il déposa un baiser sur sa tempe, son cœur manquant un battement. Elle avait un sourire presque béat collé au visage, incapable de le retirer, et le cœur au bord de l'explosion. Elle se mordilla la lèvre, presque trop dans les nuages pour réaliser l'homme qui fonçait droit sur eux. Ce ne fut que lorsqu'il s'arrêta à quelques mètres d'eux, hélant le prénom de Maisy avec un enthousiasme déconcertant qu'elle retomba sur la terre ferme. Par politesse, elle se détacha de James. - Daniel, bonjour ! Elle avait le cœur qui battait la chamade et le stress jusque dans le bout des doigts. Daniel était un client fidèle du diner où travaillait Maisy, ils se connaissaient bien, et l'idée qu'il puisse mentionner son job devant James l'effrayait au plus haut point. Elle sourit à l'homme, un sourire un peu crispé qu'elle n'arrivait pas à cacher. - Vous ne travaillez pas aujourd'hui ? Maisy secoua doucement la tête : - Non, j'ai fini mon service pour aujourd'hui. Elle priait intérieurement pour qu'il parte au plus vite, elle pouvait sentir son sang battre à ses tympans, les joues presque rosies de gêne. Elle le fixa un instant, avant de réaliser qu'il ne connaissait pas James. - Oh, hm, Daniel, je vous présente James, un… Un ami, de longue date. Volontairement, elle ne présenta pas Daniel, de peur de dire une bêtise, ou que lui en dirait une, ou que James poserait des questions. Elle avait les mâchoires serrées, les laissant se serrer la main poliment.

Elle sentit la chaleur dans ses joues, et tenta de la contrôler tant bien que mal, l'impression d'être l'adolescente qu'elle avait autrefois été. Excepté que celle-ci n'aurait pas rougi à un compliment de James. Elle ne releva pas, se contentant de fixer son regard au loin, profitant de chaque seconde passée près de lui. Le bonheur fut de courte durée, cependant, et Maisy se retrouva, presque paniquée, face à un client de diner, occupation qu'elle avait pris soin de cacher à James, par peur que son regard ne change. Elle ne fut pas pus rassurée lorsque James passa son bras autour de ses épaules, dans un geste qui se voulait sans doute protecteur, mais qui ne faisait qu'empirer la situation. Elle refusait de lui avouer son mensonge, encore moins ici, et maintenant. Elle gardait un sourire crispé, alors qu'elle les observait à peine se saluer. Son crâne bouillonnait de cris de panique, de sa voix intérieure qui lui hurlait de courir, et des excuses qu'elle pourrait trouver à cette rencontre fortuite et pas tellement appréciée. Elle hocha doucement la tête, la peur au ventre, terrorisée à l'idée de ne pas choisir les bons mots, et de tout foutre en l'air. Elle prit une inspiration discrète, coupant la parole à Daniel avant qu'il n'ait le temps d'ouvrir la bouche. - C'est… Un client ? Un patient ? Elle ne pouvait risquer de semer le doute non seulement chez James mais aussi chez Daniel. Elle marqua une pause, courte, juste le temps de remettre ses idées en place, et reprit : - Au travail. Elle offrit un sourire poli au client fidèle qu'était Daniel, une envie folle de couper court à la discussion, mais bien trop courtoise pour le faire. Un court silence s'installa, et Maisy se sentit obligée de le combler coûte que coûte. Elle n'eut pas besoin de le faire, puisque Daniel reprit la parole, et la jeune femme retint sa respiration, dans la crainte que ses mots puisse compromettre ses mensonges. - Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. De toute façon, on se verra au diner, Maisy. Elle acquiesça en souriant, ses yeux trahissant sa panique grandissante. - James, j'ai été ravi de vous rencontrer. Prenez bien soin d'elle. Et peut-être à bientôt. Maisy le gratifia d'un sourire poli et d'un geste de la main, et le regarda s'éloigner sans un mot. Elle tenta de calmer son coeur battant en soufflant doucement, aussi discrètement qu'elle en était capable. Le bras de James autour de ses épaules semblait peser des tonnes – le poids de son mensonge, qu'il finirait tôt ou tard par découvrir. Elle craignait que la lueur de fierté qu'il avait dans le regard lorsqu'il le posait sur elle ne disparaisse lorsqu'il apprendrait que son métier n'a rien de gratifiant, ni de noble. Elle ne sauvait pas des vies, elle n'aidait pas des chirurgiens, comme lui, elle envoyait des gens à l'hôpital à cause de frites trop grasses et de hamburgers bas de gamme. Elle releva les yeux vers James, et grimaça. - Désolée, je pensais pas croiser des connaissances aujourd'hui.

Maisy n'avait jamais été croyante. Loin de là, même, elle avait accompagné parfois sa grand-mère à l'église, lorsqu'elle était plus jeune, mais jamais au grand jamais elle n'avait cru en Dieu. Et pourtant, elle était là, à prier de toutes ses forces, de toute son âme pour que Daniel disparaisse, comme ça, en un claquement de doigt, envolé, et qu'elle puisse enfin calmer les battements de son cœur, qui étaient déjà bien trop forts en présence de James uniquement, mais étaient décuplés par le stress de la situation. Elle était en panique, littéralement, et James dû le sentir, car il resserra son étreinte, et Maisy le détesta pour ça. Il était trop. Trop attentionné, trop gentil, trop doux, trop sincère, et elle, elle lui mentait ouvertement, au risque de lui briser le cœur, mais visiblement, elle ne pensait à rien d'autre qu'à cacher son petit secret honteux. Daniel s'éloigna, enfin, mais la tension resta bien là, présente dans chacun de ses muscles, alors qu'ils reprenaient leur promenade. Elle feignait, Maisy, un sourire poli, qui se voulait rassurant, mais elle ne le bernait pas, elle n'avait jamais su le faire et elle se demandait bien même comment elle avait pu lui cacher aussi longtemps qu'elle n'avait pas sauvé une seule vie en trente-et-un ans – sauf si jeter une canette au chien de la voisine pour qu'il quitte le milieu de la route avant que la voiture ne le percute comptait comme une vie sauvée. Elle n'était rien, nada, une vie sans but et sans gloire, comparé à lui, James Parrish, qui sauvait des enfants chaque jour de sa vie. Elle vrilla ses yeux bruns sur son visage, inquiet, et ses joues rosirent. Elle se haïssait, violemment, de lui mentir comme ça. Pourtant, elle ne choisit pas la vérité. Pas maintenant. Elle n'était pas prête. Elle était égoïste. Elle soupira, échappant un petit rire nerveux. Il s'inquiétait, réellement, il était adorable, avec sa ride entre les sourcils creusée par l'incompréhension, et bon dieu elle eut envie de l'embrasser, là, au milieu de Central Park. Elle secoua la tête, doucement, le visage tordu dans une grimace mi-amusée, mi-coupable. - Non, non, ne t'en fais pas, il n'y a aucun problème avec Daniel. Vraiment. C'est juste que… J'aurais préféré qu'on ne soit pas dérangé. Elle ne mentait pas réellement, à vrai dire. Elle cachait la vérité par une autre vérité. Une vérité moins importante, mais une vérité quand même. Elle sourit, sincèrement, dans l'espoir de le rassurer, et pris sa main dans la sienne, spontanément, parce qu'elle eut soudainement besoin d'un contact, comme pour s'assurer qu'il était bien là, devant elle, près d'elle. Son regard voguait entre ses doigts et ses yeux, jamais trop longtemps de peur de s'y perdre, et elle se mordit l'intérieur de la joue. Elle se sentait pousser des ailes, là, juste avec lui, elle avait l'impression qu'il n'y avait plus personne, dans tout Central Park, New-York, dans le monde entier, et sa voix s'échappa dans un presque-murmure qu'elle contrôlait à peine. - Plus le temps passe et plus je me dis que… Peut-être que si aucune de mes relations n'a fonctionné jusqu'à maintenant, c'est que peut-être… Peut-être que je ne le voulais pas. Elle marqua une pause, sa voix se perdant dans les insultes mentales qu'elle s'infligeait. Elle ne savait pas ce qu'elle disait, elle n'était même plus maître d'elle-même, et c'était tout l'effet qu'il avait sur elle. Elle avait mis trop longtemps à s'en rendre compte. Elle releva des yeux inquiets sur son visage, si près, trop près, et ajouta, coupant sa respiration par la même occasion : - Peut-être que j'attendais quelqu'un d'autre.

Elle en eut le souffle coupé. Le simple contact de ses mains sur son visage suffit à rendre ses jambes faibles, et elle aurait pu s'écrouler, s'il n'avait pas été là. Elle le fixa, de ses yeux bruns, inquiets, perdus, noyés dans les siens, alors qu'il approchait son visage, lentement, elle ne cilla pas. Il posa ses lèvres sur les siennes, lâcher de papillons dans son estomac, sensation qu'elle n'avait ressenti qu'une seule fois dans sa vie. Avec lui, dix ans auparavant. Elle resta immobile un instant, avant de glisser sa main à sa nuque, dans ces boucles qu'elle aimait tant. Elle avait les paupières serrées, elle ne ressentait plus rien, rien d'autre que ses lèvres sur les siennes. Elle était aveugle et sourde, et le monde aurait pu s'écrouler autour d'eux qu'elle n'en aurait même pas conscience. Son coeur battait si fort qu'il semblait vouloir s'échapper de sa cage thoracique. Elle lui rendit son baiser, tendrement, aussi longtemps qu'elle le pouvait. Lorsqu'elle recula enfin son visage, ce fut car elle n'avait plus de souffle. Et qu'elle voulait le regarder. Elle colla son front au sien, les sourcils froncés dans une mine presque inquiète. Elle murmura, près de ses lèvres: - Ne t'enfuis pas, cette fois-ci. Elle avait peur, elle avait nié tout ce qu'elle ressentait car elle craignait de le voir s'envoler à nouveau. Elle ne le supporterait pas. Elle fit glisser ses doigts sur sa joue, jusqu'à ses lèvres et sourit, un sourire presque timide. Elle était essoufflée d'avoir retenu sa respiration trop longtemps. Elle attrapa la main de James, qu'elle posa sur sa poitrine, à l'endroit où son coeur tambourinait comme un dingue. - Je crois que mon coeur va exploser. Elle rit, elle tremblait, elle respirait fort. Elle était à deux doigts de la crise cardiaque, mais elle s'en fichait. Parce qu'il était là. Elle releva les yeux vers son visage, fixant chaque centimètre de ses traits, comme pour s'imprégner de ce moment. Et elle l'embrassa à nouveau. Comme un rappel. Comme pour être certaine de n'avoir rêvé, parce qu'elle en avait rêvé de ce moment, et qu'il y avait toujours ce doute qui subsistait, qui lui faisait penser qu'elle se réveillerait, seule dans son petit appartement. Ils faisaient la même erreur, celle qui leur avait coûté leur amitié, des années auparavant. Mais Maisy, elle aurait répété l'histoire mille fois si ça la conduisait toujours à ce moment-là.