jealousy, turning saints into the sea. (maebh)

Elle s'était promis de ne jamais devenir cette femme-là. De ne jamais faire passer ses insécurités avant son couple, avant sa fierté, avant elle-même. De briller de confiance en elle comme son frère et sa sœur parvenaient si aisément à le faire, et puis surtout d'avoir confiance en lui. Mais la peur avait finit par avoir raison de ses meilleures convictions et la pousser à commettre l'irréparable. Beth était parvenue à obtenir l'adresse où résidait l'autre femme. Celle qui faisait vaciller son couple sans même avoir besoin de faire le moindre effort, qui rendait Salim distant, pensif et l'éloignait d'elle chaque jour un peu plus. Dans sa tête, un million de possibilités se dessinaient. Elle avait passé les jours précédents à imaginer à quoi ressemblait cette femme au nom si original, si peu commun pour New York, pourtant vivier culturel incroyable. De toute évidence, elles ne devaient pas avoir la moindre chose en commun, et elle s'était surprise à l'imaginer, à la créer à partir d'un simple prénom. Une fille aux origines modestes, sans doute un peu roots, ayant baroudé à travers le monde. Une fille un peu masculine, dans sa façon d'être plus que dans son physique résolument féminin, une fille moins brillante que Beth mais mille fois plus intéressante, aux expériences déterminantes. Plus le portrait se créait dans son esprit, plus l'appréhension la gagnait et tordait son ventre. Alors elle avait décidé de mettre un terme à ses suppositions, qui ne faisaient qu'accentuer ses insécurités. Peut-être que si elle la voyait en face à face, elle rirait de sa bêtise, se penserait bien au-dessus d'elle et déciderait d'ignorer la menace planant sur leur couple, intangible mais pourtant bien réelle. Perchée sur d'élégants talons, vêtue d'une robe stricte mais classique et d'un chignon, elle faisait très Upper East Side, suintant l'argent par tous les pores, véritable double de sa propre mère. Elle espérait conjurer le mauvais sort et se donner bien plus de confiance en elle qu'elle n'en possédait réellement, ainsi vêtue. Son doigt pressa la sonnette tandis que des dizaines d'introduction lui traversaient l'esprit. Elle n'avait pas poussé la réflexion aussi loin, et cette autre ne lui en laissa pas l'occasion en ouvrant la porte. Le cœur de Beth accéléra sitôt qu'elle fut capable de mettre un visage sur le nom. « Tu es Maebh ? » demanda-t-elle cependant, par acquis de conscience.

Elle observait Maebh avec une curiosité frôlant l'intrusion, détaillait ses traits encore enfantins et les lèvres pleines que son fiancé a si longtemps embrassée. La jalousie l'étreignit, serrant, tordant son ventre mais elle restait droite, si fidèle à son port de tête altier, si loin de tout ce que cette fille face à elle pouvait incarner. On n'aurait sans doute pas pu trouver plus différentes, si bien que Beth se surprit à se demander pourquoi il l'avait choisie elle, avec tout son héritage semi aristocratique, ses valeurs, son argent et sa classe sociale. La voix de Maebh eut le mérite de la tirer de ses pensées et elle reposa son regard sur elle – elle ne s'était même pas rendue compte qu'elle avait tout fait pour éviter de la regarder directement jusqu'à présent. Ses traits se froncèrent d'incompréhension. « Quoi ? Je – non. Je ne suis pas une voisine. » répondit-elle, de son ton doux caractéristique. Elle n'aurait su dire qui devait être la plus gênée des deux, celle hésitant à lui dire la raison de sa visite, ou celle qui d'ici quelques secondes aurait l'étiquette de voleuse de mec collée à la peau pour le reste de ses jours. « Je m'appelle Beth. Je suis la... fiancée de Salim. » Le mot fiancée avait toujours autant de mal à rouler naturellement entre ses lèvres tant il semblait... inadapté. Quelle fiancée digne de ce nom angoissait à ce point de voir son futur mari absent ? Quelle fiancée digne de ce nom envisageait d'épouser une rockstar, fantasme d'on ne savait combien de filles bien plus adaptées pour lui ? Quelle fiancée venait rendre visite à l'ex, l'autre, comme n'importe quelle femme sensée ne le ferait pas ? Elle déglutit péniblement. « J'ai pensé qu'il était temps d'avoir une conversation, toutes les deux. » Elle tenta de rendre sa voix plus affirmée qu'elle ne l'était réellement. « Et éclaircir certaines choses, si ça ne te dérange pas. » De nouveau le timbre angoissé. Qu'arrivait-il donc à Beth Everard pour qu'elle perde si aisément ses moyens, elle qu'un ouragan n'aurait jamais pu briser en temps normal ?

Oh. Battements de cils, silence. Lorsque l'inconnue clame son identité, ses mots prennent la forme d'une sentence. Beth, la fiancée de Salim. Le processus pour intégrer l'information ne dure que quelques secondes mais pour Maebh, des heures semblent s'écouler. Elle tressaille, ne peut que très difficilement masquer sa surprise. L'anneau observé lors de leurs retrouvailles venait de prendre vie, sous la forme d'une très jolie jeune femme. L'autre, c'était donc elle. Une demoiselle avec de la prestance, du charisme. Maebh ne connaissait rien d'elle, si ce n'est son prénom mais telle était l'impression que ses vêtements, son allure donnaient.Aussi puéril cela sonne-t-il, l'irlandaise aurait préféré, peut-être, se retrouver face à quelqu'un ne ressemblant en rien à la dite Beth. C'est qu'à côté, Maebh, ses cheveux en bataille et son pyjama pas vraiment ôté, n'était qu'une pâle version de la femme adulte – celle qu'elle se devrait pourtant être à bientôt trente ans. « Oh ok. Hum, oui, je - » Maebh ne savait pas quoi dire. Bien sûr, elle ne pouvait nier leurs retrouvailles, les mots échangés, les sentiments que ces paroles avaient ravivé et qui lui avaient écorché le coeur. Les choses auraient pu en rester ainsi mais autrui s'était immiscé dans l'histoire – à savoir un blog, quelques rumeurs au contenu qu'on pourrait penser dérisoire mais qui n'avaient fait que perturber un peu plus l'irlandaise. Mais de là ce que Beth se poste devant sa porte, de là à ce qu'une conversation soit nécessaire ? « Non, j'imagine... » Avait-elle vraiment le choix ? Maebh n'avait certes rien à cacher, rien à se reprocher mais (oui, il y avait un mais) il était tout de même question de Salim. « On va pas rester sur le palier, entre. » Même si une conversation expéditive dans ce couloir lui paraissait la meilleure option, elle tentait de rester calme, aimable, feignant même un sourire tout en espérant qu'une seule chose: à savoir que l'américaine ne lui fasse pas procès pour les événements des derniers jours. Maebh n'avait pas cherché à revoir Salim ni à voir son nom dans les écrits d'elle ne savait quel journaliste amateur. Pas besoin d'épiloguer bien longtemps. L'irlandaise s'excusera pour les maux causés, fera preuve de bonne foi en contant sa vie passée tout en promettant de ne plus s'approcher de Salim – si tel était le souhait de Beth . Cette dernière partie rendait Maebh on ne peut plus nerveuse. Ne plus revoir Salim. Cela ne pourrait pas être si difficile, c'est ce qu'elle avait fait ces dix dernières années. Cependant, maintenant que son coeur le savait errant dans la même ville, maintenant que les premières bases d'explications avaient été posées, les choses semblaient avoir quelque peu changé.

Beth tremblait, tout en s'efforçant de n'en rien laisser paraître. Le masque de composition, caractéristique récurrente des Everard, se laissait entrevoir sur des traits calmes en apparence. A l'intérieur, le tonnerre grondait, toutes ces émotions retenues, contenues depuis des semaines. Maebh et elle n'auraient pas pu être plus différentes, c'était sans doute cela qui l'angoissait le plus. Beth avait le port altier de la femme aristocratique, les traits doux, les vêtements chics. Maebh était différente : plus réelle, plus accessible, bien plus proche du genre de femme qu'elle aurait imaginé pour Salim. A dire vrai, elle n'avait jamais compris comment une femme dans son genre avait pu intéresser une rockstar comme lui. On l'aurait davantage imaginé avec une fille un peu sauvage, jouant dans les extrêmes, entière et passionnée... tout ce que Beth n'était pas – ou se gardait de devenir. Elle lui proposa d'entrer, et Beth hocha la tête en signe d'approbation. En vérité, elle ne savait pas vraiment ce qu'elle espérait de cette discussion, tout en sachant qu'elle se devait de l'avoir. Elle l'avait imaginée des dizaines de fois dans son esprit torturé par le doute, mais à présent qu'elle devait prononcer les mots, elle se retrouvait mal à l'aise, inquiète. Que pouvait-elle dire à cette femme, cette autre, cette menace qui ne savait peut-être même pas l'impact qu'elle avait dans leur couple. Beth entra dans l'appartement, laissant son regard se promener sur l'endroit. Il s'agissait d'un loft, plus petit que le sien mais qui avait au moins le mérite d'être l'un de ces endroits où l'on vivait. Son propre loft était immense, mais minimaliste, où l'on craignait de déplacer une sculpture ou un objet. Celui de Maebh respirait la vie, l'intimité. « C'est mignon chez toi. Tu y vis toute seule ? » Un moyen comme un autre de glaner quelques informations. Après tout, si Maebh partageait sa vie avec quelqu'un, peut-être Beth arrêtait-elle de se sentir menacée par l'ombre planant sur son couple. C'était un espoir ridicule, bien sûr, car être en couple n'avait jamais empêché d'être infidèle, mais Beth avait grandi bercée de certitudes liées à son milieu social. D'où elle venait, on ne divorçait pas et les infidélités étaient passées sous silence. Consciente qu'elle ne pourrait pas retarder plus longtemps la discussion, elle poussa un soupir anxieux avant de faire face à Maebh. « Je sais que Salim et toi vous vous êtes revus. Je ne veux pas être cette fiancée jalouse, incapable de faire confiance à l'homme qu'elle aime, mais je connais aussi votre histoire. C'est le genre qu'on n'oublie pas si facilement. » Elle baissa le regard sur ses doigts, se mêlant et se démêlant au rythme de sa gêne. « J'ai juste besoin de savoir quelles sont tes intentions. » C'était sans doute la question la plus ridicule à poser, car quelle femme, face à la fiancée de son ex, répondrait honnêtement ? Mais Beth n'avait jamais été bonne pour les conflits, et elle leur préférait toujours l'esquive maladroite.

Le malaise et sa personne ne faisait plus qu'un. Une fois Beth entrée, Maebh avance, d'un pas gauche, en serait presque presque à oublier comment refermer le loquet de la porte d'entrée. La respiration reste pourtant régulière, son visage presque indifférent. Ne rien laisser transparaître. Telle était sa stratégie, élaborée en moins de trente secondes. Histoire d'éviter tout scandale, inutile, selon elle. L'appartement n'est pas vraiment rangé – comme toujours et Maebh regrette soudainement ses heures de procrastination. « Ah euh, merci. Oh, non, c'est l'appartement de mon frère. Je – je squatte pour quelques temps encore... » Ce n'était pas ses maigres économies et son salaire de serveuse qui allaient lui permettre de trouver un appartement convenable. Et puis, après tout, l'irlandaise n'avait rejoint la jungle new-yorkaise que depuis quelques semaines seulement.   « Tu veux boire quelque chose peut-être ? » Même si Beth se faisait intrus, la politesse restait de mise. Maebh s'empresse alors de rejoindre la cuisine, lieu de repli quelques instants durant.   « On a du jus d'orange, de la limonade, de la bière... Et de l'eau. » Voilà voilà. Comme pour retarder le face-à-face, Maebh s'affaire à attraper deux verres et les quelques bouteilles citées qu'elle pouvait encore porter, avant de se résoudre à retourner dans le salon, où l'attendait Beth. Celle-ci semblait décidée à balayer tout quiproquo et autre malentendu possible, énonçant clairement les raisons de sa visite. Maebh déglutit, suite à la description de ce qu'elle et Salim avait été. Il y a dix ans, il y fort longtemps. De l'histoire ancienne, qu'elle pourrait dire, l'air détaché. Ou du moins, aurait pu. Si Salim n'était pas réapparu. La brune se serre un verre d'eau, le boit d'une traite. Beth n'y allait pas quatre chemins et Maebh, elle, ne pouvait que lui donner raison. À sa place, elle aurait sûrement fait pareil. « Je ne suis pas venue à New-York pour récupérer Salim – si c'est ça, ta question. » La réponse pourrait paraître froide, presque agressive – seulement, le ton de Maebh contrebalançait le tout, se voulant en fin de phrase quelque peu hésitant. « Ça faisait quoi ? Dix ans, qu'on s'étaient pas vus. Je ne savais même pas qu'il était ici. » Maebh s'accrochait à des brins de vérité, du mieux qu'elle le pouvait, repoussant l'instant où il lui serait nécessaire de clarifier ses sentiments. « Salim a débarqué avec le groupe au pub où je travaille, on a discuté et c'est tout. Il n'y a pas grand chose à dire. » Ce n'était pas de la mauvaise foi; juste du déni, du refoulement. Regards fuyants, voilà que le silence s'installe une nouvelle fois.   « Dix ans, c'est long. Les choses ont changé. Pour lui comme pour moi. » Et contre cela, Maebh ne pouvait rien, si ce n'est l'accepter.