— tc, music's in our souls

— scène
La tension monte lentement. Il sent l’excitation se mélanger au trac alors qu’il s’éloigne de quelques pas pour terminer d’écouter la chanson de Linkin Park – il a appris il y a deux jours le décès du chanteur mythique, l’une de ses idoles et son cœur en saigne encore. Ecouter l’une de leurs chansons est sa façon de garder ses nerfs sous contrôle. Ce concert, c’est l’amorce de la tournée de KREA-TION, le lancement officiel de leur troisième album. La chanson se termine et il retire ses écouteurs de ses oreilles, regarde une énième fois son téléphone pour répondre au sms reçu. Finalement, il retourne auprès de la bande. Claque dans l’épaule de Jax, leur rituel avant chaque concert, puis un sourire pour le reste du groupe. « Allez, c’est le moment où jamais. On va prouver à ce Collins que ses gamins sont pas près de détrôner KREA-TION de la place de numéro un. » Prouver à Angie que ses inquiétudes sont vaines, qu’elle est parano. Il a un clin d’œil en direction de son équipe, son groupe, et l’animateur de cette journée les annonce finalement. Salim, le premier s’élance sur la scène sous les acclamations du public. Il lève un bras pour tous les saluer, les remercier avant d’aller se placer vers le second micro, le premier étant destiné à Atlas. Il récupère Mitra et il la lève, pour l’effet de crise que ça ne manque pas de déclencher. Il rit et se tourne vers ses collègues. Il la tiens contre lui, attrape le micro de sa main libre. « Hellooooo New York ! » Des cris hystériques lui répondent, il ne se lasse pas de sourire. « J’vois que vous êtes venus nombreux et ça tombe bien parce que la bande et moi, on voulait en profiter pour avoir une pensée à ceux qui nous ont quitté récemment, qu’ils aient été des victimes du braquage de l’autre jour ou bien les proies d’une maladie aussi sournoise que la dépression. » Chester, son héro. Il laisse un silence respectueux s’installer avant de reprendre. « On vous adore, ne l’oubliez jamais. » Ses yeux cherchent dans la foule un visage à rassurer d’un sourire, mais il y en a trop. Alors il sourit à tous. « Et sur ce, on vous laisse juger de notre troisième album. Faîtes du bruit si vous aimez ! » Déjà, des acclamations. Il secoue la tête, repose le micro sur son pied, lance un regard à chacun des membres du groupe. S’ils veulent rajouter quelque chose, ils le peuvent. Alors, seulement, la musique démarre, lançant le début des festivités.

C'est évident, tu ne cesseras jamais de stresser à l'approche d'un concert. Tu aimerais avoir la maîtrise de tes aînés - bien qu'ils soient surtout doués pour faire mine de tout avoir sous contrôle. Tu te sens toujours comme un gamin, avec cette impression constante de ne pas être à ta place, de ne pas mériter ton succès. Bien sûr, KREA-TION mérite son public, la reconnaissance, sa popularité montante, mais y participes-tu réellement ? Tu te poseras sans doute toujours la question, tu évites simplement de la formuler à voix haute. Dernièrement, tu crains de pourrir cette popularité. En général, lorsqu'Angie panique, vous vous dites qu'elle se met trop de pression. Mais, pour le coup, c'est sérieux, vous avez un ennemi. S'il déterre vos secrets, vous êtes peut-être bien foutus. Tu refuses que le fait que tu aies fait de la prison pour complicité de meurtre gâche la carrière des autres, surtout qu'ils n'en savent rien, surtout que tu es l'un des derniers arrivés dans le groupe et qu'ils n'ont pas besoin de toi. Aujourd'hui, il n'y pas que cela qui te pèse. C'était le chaos, récemment, et pas qu'à New York. Ce festival est une bouffée d'air frais qui souffle sur la ville, vous en avez probablement tous besoin après les derniers événements. Tu n'y étais pas, tu as eu de la chance. Beaucoup de chance. Jax et Salim s'y trouvaient, tu n'as pas vraiment osé leur poser de questions. Tu n'es pas non plus certain de vouloir en savoir plus. Vous avez cependant décidé de rendre au moins hommages aux personnes que perdues dernièrement dans des événements tragiques, quels qu'ils soient. On pense notamment à Chester Bennington, inspiration et modèle, lui qui a sauvé tant de vies, mis des mots sur des douleurs dont on ne savait que dire. Tu espères qu'il repose en paix, libéré de ses démons. Tu n'oublieras jamais ni ne cesseras de l'écouter chanter, et tu aimerais tellement qu'il sache à quel point il a pu t'aider. T'inspirer. Comme il a pu inspirer le groupe. Vous montez sur scène, tu balaies la foule du regard, t'en as presque le souffle coupé mais tu te reprends rapidement pour aller te placer derrière le piano, tout sourire et le cœur battant à tout rompre. C'est le début de la tournée, la suite du rêve. Une fois le discours de Salim terminé, tu applaudis avec la foule, ris face aux cris qui fusent dans tous les coins. Et vous commencez à jouer. Tu te perds dans la mélodie, ainsi que les voix de Jaz et Atlas. Tu vis ton rêve, encore et encore.

« Prête ? » La tête d'Angie apparaît à travers l'entrebâillement de la porte. Jaz est clouée sur une chaise, livrée aux mains des maquilleuses. Dernière retouche pour la plus extravagante des artistes de KREA-TION. Son seul membre féminin, aussi, faisant d'elle la petite princesse de son agent. « Sympa, ta nouvelle couleur. » Des mèches roses, violets et turquoises s'entremêlaient en un chignon volontairement défaits. Angie s'amusait souvent, à parier sur le prochain choix capillaire de Jaz. « C'est à vous dans dix minutes, sweetie. » Le stress commençait à se faire sentir, sur les traits de Jaz comme ceux d'Angie. Ce concert était d'une importance capitale. Il signait tout d'abord le retour de KREA-TION. Un troisième album, presque dix ans de carrière. Et puis, il fallait que les choses reviennent comme avant. Malgré les problèmes extérieurs, incarnés en la personne de Collins ou ceux du groupe lui-même. Les frasques de Jax, la vie sentimentale de Salim – pas question d'en parler, ni même d'y penser, ce soir. L'attention devait être portée sur le groupe et sa performance. Jaz rattrape Angie, qui s'apprêtait à retrouver les quatre garçons. La mère-poule ne peut s'empêcher de sourire, en voyant le stress se dessiner peu-à-peu dans leurs actions, dans leurs regards. « Vous allez tout défoncer – comme d'habitude, vous me direz. » Sa voix se veut douce, bien plus rassurante qu'il y a quelques jours. C'est que cette fois-ci, il était question d'acquis et non de menaces. KREA-TION maîtrisait la scène comme peu d'autres groupes de leur génération. Une jeune femme se glisse entre les membres, leur fait signe de la suivre. C'est à leur tour. Angie éclate de rire, lorsque Salim mentionne  Collins. « Pas question de penser à lui, il n'en vaut pas la peine. Aujourd'hui, c'est votre journée ! » Dernières recommandations, mots d'encouragements et Angie voit ses poulains filer sur scène. La brune compte bien observer ce qui se passe sur scène – plus important encore, assister à la réaction du public face aux nouvelles compositions du groupe. L'envie de se glisser dans la foule du festival est bien là. En voyant tous ces visages, cet engouement, vint un pincement au coeur. Angie ne dirait pas non, si on lui proposait de retourner en arrière, quand elle avait vingt ans et profitait elle aussi de ce genre de concerts. Introduction, suivie du premier morceau. L'agent est fière – malgré les derniers événements, le groupe était toujours aussi soudé et doué. Non loin de là, ses filles, aux premières loges. Elles dansent, s'amusent, de quoi réjouir encore plus leur mère. Jackie ne devrait pas être loin non plus – oui, Angie avait ramené tout un bataillon pour changer les idées de tout le monde. Pas de couac pour l'instant, la jeune femme se détend au fil de la chanson et retourne en coulisses pour siroter un cocktail offert par les organisateurs du festival. Des rires se font entendre par de là les couloirs – sûrement d'autres artistes, attendant leur tour. Quelques connaissances, par-ci, par-là. Une voix, malgré tout, se détache des autres. Angie n'y fait pas attention, du moins, pas tout de suite. Et puis, la dite personne apparaît, parmi le petit attroupement backstage. Aaron Collins, évidemment.  

La balle lui retombe sur le crâne avec un léger bruit sourd avant d’aller rouler sur le sol. Aaron, un œil plissé à cause du choc, la regarde s’éloigner avant de maugréer. L’objet est comme la métaphore ironique du désastre que va être cette journée – ce n’est pourtant pas ce qui va empêcher Aaron de s’amuser un peu. Derrière lui, l’un de ses poulains s’inquiète de savoir s’ils sont vraiment prêts pour un tel concert. S’ils peuvent vraiment faire le poids face aux autres artistes qui passent sur scène avant eux. Aaron balaie l’argumentation infondée d’un geste rapide de la main. « Les filles vous adorent, les gars. Vous allez faire un carton. Même les One Direction n’auraient pas la moindre chance. » Il présume un peu, beaucoup, parce qu’il ignore les titres du groupe qu’il vient de mentionner, en réalité. Il en a juste entendu parler de temps en temps et préfère les mentionner eux, plutôt que les autres losers. Les paroles de l’animateur se font entendre, lointains et Aaron retire ses pieds sur bureau où il les avait déposés, en arrivant. Il frappe des mains. « Allez les mecs, let’s go. » Il croise un regard nerveux, une bouche inquiète. Il attrape le premier par les épaules, le second par le bras et il les entraîne dans une étreinte qu’ils ne lui refusent pas. Ils sont des gosses et il est comme un second père, pour eux, il en a bien conscience. Il les serre contre lui quelques instants, sans prononcer un mot. Finalement, ils s’éloignent d’eux-mêmes, requinqués et ragaillardis. Aaron sourit. Ils quittent la loge ensemble, et s’enfoncent dans les coulisses. « Où il est, Vlad ? » On lui répond par un haussement d’épaule et Aaron cherche du regard le saxophoniste du groupe. Le pilier de celui-ci. Celui qui fait toute la différence entre eux et n’importe quel autre groupe un peu pop rock. Le saxophone, l’arme ultime. Le lien avec le jazz de la vieille Nouvelle-Orléans. Finalement, Vlad, le plus blond de toute l’équipe arrive, saxo en main et Aaron l’accueille à son tour. Ils sont là. Tous. « Surtout, rappelez-vous… Même Louis Armstrong avait le tract avant de monter sur scène. Mais vous pouvez vous en servir pour envoyer du lourd là-bas. » Un clin d’œil et ils lèvent tous le verre qu’on leur a proposé – Aaron ne se souvient plus de qui, ni de quand, mais il en a dans la main et il n’est pas prêt de l’abandonner. Et puis les premières notes retentissent et il grince des dents. Les nullards, bien sûr. Ils ouvrent le bal comme s’ils étaient un groupe de renom comme les Beatles. Aaron ferme les yeux. « Qu’ils sont charmants. » L’ironie de sa voix transparaît pourtant dans chacun de ses mots. On glousse, le pensant sans doute sincère, avant de lui désigner la présence d’Oswald, un peu plus loin. Bien sûr qu’elle est là, celle-là. Il lui jette un regard long, un sourire acide, lève son verre dans sa direction avant de noter qu’elle n’en a aucun. Il fend le petit groupe qui s’est formé autour de lui pour la rejoindre. « Oh, aurait-on oublier de te proposer un verre pour fêter votre troisième album ? Ca n’a pas du tant marquer les esprits que ça, je suppose. » Il ne se défait pas de son petit sourire en coin, hautain, et porte sa coupe à ses lèvres pour en avaler une gorgée qu’il savoure lentement devant la grincheuse.

L’ambiance du lieu l’enveloppe avant même qu’elle n’ait passé les barrières qui délimitent le festival. Juliet, vêtue d’une petite robe à fleur et les cheveux relevés, se masse dans la foule, un sourire aux lèvres. C’est qu’il fait beau, chaud, et que la bonne humeur semble être au rendez-vous d’une façon plus générale. Alors, Juliet, elle l’est aussi. De bonne humeur. Joyeuse. Sa journée, elle l’a obtenu grâce aux nombreuses heures supplémentaires effectuées afin de rappeler à Ziggy ses différents rendez-vous. Et elle compte bien en profiter – et si elle croise Nyle parmi les visages de la foule, ce ne sera que du bonus. Depuis qu’ils se sont croisés dans le bus, elle s’est surprise à penser à lui un peu plus souvent que d’ordinaire. Avec, parfois, un soupçon de regret sur la fin de leur histoire. Elle secoue la tête. Elle ne veut y penser, Juliet. Pas aujourd’hui. Elle se glisse vers un premier stand pour se commander un verre, le récupère, s’éloigne. Des petits groupes commencent à se former de parts et autres de Central Park. Il y a ceux qui écoutent avec enthousiasme le groupe de musique qui joue – un bon air qui lui fait balancer sa tête en rythme mais pas encore s’arrêter – et ceux qui font déjà les petits malins à vouloir danser. Juliet, elle continue son chemin, s’arrête devant les stands de jeux. Retour en arrière, quand elle n’avait pas encore dix ans et qu’elle harcelait ses parents pour pouvoir participer à la pêche aux canards. Elle hésite, se laisse finalement tenter. L’argent passe de ses mains à celui du jeune homme qui tient le stand et on lui donne un filet à la place. Elle se penche, tente d’attraper un canard pour viser un maximum de point et repartir avec un petit lot. Le canard en main, elle regarde le nombre de point que celui-ci lui a rapporté. Un. Loin de se laisser abattre, elle renouvelle l’expérience. Même résultat. La voilà pas très bien avancée. Elle tente une troisième fois, sans que ça aille beaucoup plus loin. Elle baisse la tête dépitée. « Y a pas quelqu’un qui aurait un peu plus de chance que moi, à tout hasard ? » Elle rit, se tourne vers les quelques autres personnes qui sont présentes autour d’elle sans trop se bercer d’illusion. Le lot, ce n’est pas aujourd’hui qu’elle va le remporter.