(elea) unpack you heart

Maisy avait besoin d'une pause. D'air frais, de clarté, de conseils, d'Elea. Ce fut sa première pensée en ouvrant les yeux ce matin-là, et ce fut aussi toutes celles qui lui traversaient l'esprit tout au long de sa journée, entre deux sourires de James qui semblaient collés à ses paupières et que, quoi qu'elle fasse, elle ne pourrait pas effacer. Et c'était justement pour ça, qu'elle avait besoin d'un moment de répit, histoire de pas devenir cinglée à cause de ses yeux bleus qui la hantaient, et elle ne savait pas réellement pourquoi. Elle avait rapidement envoyé un sms à son amie, qui elle aussi avait son lot de problèmes, et c'était bien pour ça qu'elle voulait la voir elle, et pas une autre, entre deux services. Elle n'avait pas réellement demandé la permission, s'était un peu invitée chez elle, en fin de compte, mais ça n'avait jamais été un problème entre les deux femmes. Elle frappa trois coups, tentant de ne pas lâcher ni la bouteille de vin qu'elle venait tout juste d'acheter, ni le gâteau au chocolat que la voisine d'en dessous lui avait refilé au moment où elle partait. Comme si elle avait su, qu'elle aurait besoin de ça. La porte s'ouvrit sur une Elea radieuse, comme toujours, et Maisy se demanda encore comment c'était possible d'être aussi resplendissante, en toutes circonstances. Elle lui offrit un grand sourire en entrant, l'enlaçant aussi bien qu'elle le pouvait malgré ses mains occupées. - Salut Ellie, comment tu vas ? Elle posa la bouteille de vin et l'assiette sur le comptoir de la cuisine, et grimaça lorsqu'Eleanor prit la bouteille pour en regarder l'étiquette. - Il m'a coûté une petite fortune, il va falloir qu'on l'apprécie. Mais là, c'était urgent. Elle prit une grande inspiration, comme pour calmer ses nerfs, qui étaient à vif depuis quelques jours tant elle était perdue. - Et ça, c'est la vieille dame qui a emménagé le mois dernier. Elle a dû avoir pitié en apprenant que j'étais nulle en cuisine. C'est la huitième fois qu'elle m'apporte à manger. Elle rit, se remémorant le visage de la voisine lorsque Maisy lui avait apporté un cadeau de bienvenue, un superbe plat de lasagnes absolument immangeable, mais au moins fait avec amour et bienveillance. Puis elle alla s'asseoir sur le canapé, ou plutôt s'y jeter, en soupirant. Elea était psychologue, elle avait un canapé ultra confortable, une bonne bouteille de vin et du gâteau au chocolat. Tout était réuni. - Bon, quoi de neuf, toi ? T'as vu Joey récemment ? Elle grimaça à sa dernière question, pas certaine d'avoir dû la poser. Mais c'était trop tard, et de toute façon, elles y viendraient forcément à un moment donné. Tant qu'à faire de mettre les pieds dans le plat, autant le faire d'emblée.

Maisy, c'était le petit rayon de soleil, la bonne humeur incessante et communicative, l'épaule sur laquelle on pouvait se reposer, l'amie qui ne jugerait pas. Mais parfois, Maisy avait besoin qu'on lui rende la pareille. Qu'on la soutienne, l'écoute, l'éclaire. Comme maintenant, comme Elea le faisait si bien depuis si longtemps. Elle n'avait aucun mal à s'incruster chez elle en ne prévenant même pas la veille mais le jour-même, parce qu'un refus ne l'aurait jamais blessé. Si elle avait choisi ce moment particulier pour cette soirée avec Elea, c'était parce qu'elle avait besoin d'exprimer à voix haute ce qu'elle ressentait, ou du moins essayer. Depuis qu'elle avait revu James, depuis ce dîner, les images tournaient en boucle et elle peinait à mettre des mots sur tout ça. Elle savait qu'Elea, tant grâce à son métier que son oreille attentive, saurait la guider, au moins un peu. - Bien sûr. Elle sourit de plus belle, posant son butin sur le comptoir. - T'imagine même pas tout ce qui me trotte dans la tête, dit-elle avec un rire mi-amusé, mi-nerveux. Puis elle grimaça, avant d'ajouter : - Arf, de ce côté-là j'ai de quoi faire, mais je vais pas me priver. Elle éclata de rire, la joie de vivre dans tous les recoins, dans chaque pore de sa peau. Elea ne tarda pas à la rejoindre au salon, avec deux verres, et s'installa en face d'elle, prenant ses aises comme Maisy l'avait fait. Et puis, il fallait entamer la conversation, Maisy n'aimait pas tourner autour du pot, du moins pas avec ses amis, elle pouvait sans peine entrer dans le vif du sujet, aussi douloureux et gênant que ça pouvait devenir. Elle parlait d'abord, réfléchissait ensuite, toujours. Elle prit son verre en ne quittant pas son amie des yeux, l'écoutant attentivement parler de Joey. Elle était présente, lorsqu'Elea avait décidé que finalement, elle ne souhaitait plus se marier. C'était venu de nul part, personne n'avait compris. On lui avait jeté la pierre, on l'avait critiquée, mal regardée, parce que les gens se fichaient bien de ce qu'elle ressentait, ils ne se concentraient que sur l’humiliation de Joey. Il était vrai que ça avait été un choc, pour elle comme pour tout le monde, mais pourtant Maisy avait compris. Le mariage, c'était un engagement pour la vie, elle y croyait dur comme fer, depuis toujours. Le moindre doute devait être écarté, et s'il n'était pas possible de le faire, il fallait tout arrêter. Elle l'avait soutenue dans sa décision, sans pour autant jeter la pierre sur Joey. Elea n'était pas prête, c'était tout simple. Comme James, sans doute, lorsqu'il avait rompu ses fiançailles et – elle se mordit la joue pour cesser de penser à lui. Son visage apparaissant dans son crâne lui rappela l'urgence de sa venue ici. Maisy fit les gros yeux, surprise. - Attends, tu veux dire que… Il est allé à votre lune de miel… Sans toi ? Elle tombait des nues, incapable de se dire qu'il était normal pour lui de faire ce voyage sans Elea. Comment pouvait-il partir, seul, après s'être fait planter à l'hôtel, dans un endroit qui n'aurait rien fait d'autre que lui faire penser à elle. - Wow, si je m'y attendais. Elle secoua la tête, riant nerveusement. - Il t'évite, tu penses ? Elle espérait qu'ils s'expliquent, se pardonnent peut-être, se comprennent surtout, sans forcément se remettre ensemble. Aucun des deux ne pourrait supporter de vivre dans le doute plus longtemps. Joey méritait une explication, Elea aussi. Elle trinqua avec joie, soufflant alors que leurs verres se cognaient. - Aux mauvaises décisions. Elle en avait fait, beaucoup, une en particulier, qu'elle regrettait peut-être, elle ne savait plus, elle n'avait jamais su, de toute façon. Et c'était là toute la complexité du problème. - Par où commencer ? Elle ricana en se frottant les tempes. C'était vrai, elle n'avait aucune idée de ce qu'elle devait dire, de comment le dire, parce que dans son crâne, ce n'était qu'une suite de mots sans rapport logique – ou du moins pas explicite. - Il y a mon patron, qui va ouvrir un café sous peu, et qui m'a proposé de quitter le diner pour travailler là-bas. Mais j'aime bien mon travail, tu sais, j'aime bien ma petite routine, tout ça. Mais c'est pas important. C'était futile, en fait, inutile même, une excuse pour retarder l'échéance, qu'elle saisit finalement après une grande inspiration. - Et puis, j'ai revu quelqu'un, un ami, James. Je t'en ai jamais parlé parce que je me disais que c'était pas utile. Elle marqua une pause, parce qu'elle enchaînait les mots en oubliant de respirer. - C'était mon meilleur ami, quand on était ados. Et je ne l'avais pas vu depuis des années. Neuf ans, exactement. On avait genre vingt ans la dernière fois. Il m'a embrassée, et il est parti sans rien dire. Elle avait le cœur battant et les mains moites, l'impression de ne pas pouvoir en dire plus sans que sa poitrine n'explose. - Du coup, je l'ai recroisé, l'autre jour, il m'a renversé son café dessus. Elle rit, se remémorant cette rencontre fortuite pour laquelle elle remerciait chaque jour Dieu, le Karma, le Destin ou whatever depuis. - Et je suis allée dîner chez lui, il y a quelques jours. Et il m'a avoué qu'il était amoureux de moi, à l'époque. Et je sais pas. Elle haussa les épaules, buvant une gorgée de vin comme si c'était de l'eau, et sourit, gênée. - C'est tellement idiot.