caleb + chuck norris peut faire un solo de heavy metal avec un ukulélé.

« Alors Sarah, de quoi voulez vous que nous parlions ? »
Sarah se mordille la lèvre en triturant nerveusement les manches de son gilet en laine. Elle est incapable de regarder sa psy dans les yeux. Pourtant, ce n'est pas la première fois qu'elle la consulte, au contraire, c'est probablement la personne qu'elle a le plus vu ces dernières années, avant même les membres de sa famille. Mais ce qu'elle s'apprête à lui révéler la pèse depuis tellement longtemps que la perspective d'enfin s'en libérer la rend presque pudique.
« Vous vous rappelez, lors d'une de nos premières séances, vous m'avez dit qu'un jour, je ressentirai probablement le besoin de m'excuser auprès des personnes que j'ai blessé pendant ma vie ?
- Je m'en souviens très bien.
- Eh bien, je commence à ressentir ce besoin. A l'époque où je... enfin vous savez, où je...
- N'ayez pas peur de le dire Sarah. »
La jeune femme prend une grande inspiration avant de poursuivre :
« A l'époque où je prenais de la drogue, j'ai fait du mal à beaucoup de monde, mais il y en a un en particulier que je n'ai pas épargné...
- Qui est cette personne ?
- Mon frère, Caleb. »
La psychologue lève imperceptiblement un sourcil étonné : c'est l'une des premières fois que sa patiente évoque son frère. Mais comme elle est suffisamment professionnelle pour savoir que demander de but en blanc qu'est ce que Sarah a bien pu lui faire ne ferait que la braquer, elle se contente pour le moment de quelque chose de simple :
« Parlez moi de lui. »
Un léger sourire flotte sur les lèvres de Sarah qui tapote frénétiquement son index contre le dos de son autre main.
« Caleb est mon grand frère. On a 3 ans de différence, et même si ça semble peu, on a jamais été proches. Je pense que c'est parce qu'on a été élevés de façons totalement différentes. Nos parents étaient intransigeants avec lui, ils ne laissaient rien passer et au moindre écart de conduite, Caleb se faisait engueuler toute la soirée. Moi, j'étais la princesse de la maison, tout m'était accordé dès que je le demandais. Ça se voyait qu'il était pas heureux chez nous parce qu'il passait son temps chez nos voisins, les Waldorf. Ils avaient une fille, Hales avec qui il était presque H24. Et quand il était pas avec elle, il regardait des films, des tonnes et des tonnes de films. Ça insupportait mon père de le voir tout le temps devant la télé comme ça, d'autant plus quand Caleb lui a dit qu'il avait l'intention de travailler dans le milieu du cinéma plus tard. Je me souviens encore de ce jour, j'avais 9 ans et lui 12 : mon père a piqué une colère tellement énorme que j'ai vraiment cru qu'il allait le frapper. Mais il lui a juste hurlé dessus, en lui disant qu'il deviendrait médecin ou avocat et c'est tout. Ce soir là, j'ai vu Caleb passer par la fenêtre pour s'enfuir de la maison et aller chez les Waldorf en cachette.
- Les Waldorf savaient que ça se passait aussi mal chez vous ?
- A cette époque là non, je pense pas. Cal est pas du genre à parler de ses problèmes, ni a le montrer quand quelque chose va pas. C'est peut être aussi pour cette raison qu'on a jamais été proches, parce qu'on se comprenaient pas. Après, mes parents ne le maltraitaient pas non plus, ils l'aimaient lui aussi ! Seulement ils ne savaient pas comment le lui montrer je pense. Quoiqu'il en soit, quelques années après cet épisode, l'un des enfants des Waldorf a eu un grave accident et Caleb a passé encore plus de temps avec Hales. J'avais 12 ans à cette époque et je fêtais ma bat mitsva cette année là. Je ne m'étais jamais plainte que mon frère soit plus souvent chez les voisins qu'à la maison, mais quand il a loupé une partie de la cérémonie en mon honneur, celle que j'avais attendu toute ma vie, j'étais en colère et j'en voulais à cette famille qui m'avait volée mon frère ce jour si important pour moi. A partir de là mes relations avec mon frère sont passées d'inexistantes à vraiment froides, il s'excusait mais je ne l'écoutais pas. Ça a continué comme ça un moment et quand j'ai eu 15 ans j'ai commencé à fumé de la beuh. Je me souviens, je cachais mes sachets d'herbe dans le placard à serviettes de la salle de bain que je partageais avec mon frère. Et un jour, en faisant le ménage, ma mère est tombée dessus. Nos parents nous ont tous les deux convoqués dans le salon et nous ont demandé à qui ça appartenait. Et immédiatement, j'ai répondu que c'était à Caleb. »
Sarah se tord violemment les poignets en continuant son récit, le souffle court :
« J'étais... tellement en colère contre lui, c'est sorti tout seul. Je me souviens encore du regard qu'il m'a lancée à ce moment là, un mélange d'incompréhension et de panique... Mais il a quand même fini par avouer. Il a admis que l'herbe était bien à lui alors que c'était faux. Il m'a protégée alors que je venais de le jeter dans la fosse aux lions... Et mes parents l'ont mis à la porte. Caleb a trouvé refuge chez les Waldorf et je suis presque sûre qu'il a tout expliqué à Hales. Ils étaient comme des siamois et comme ils ont vécu sous le même toit, ça a dû devenir encore plus fusionnel entre eux. A la fin de son lycée, ni mes parents, ni moi ne sommes venus à sa remise des diplômes. J'ai appris d'une amie qu'il avait présenté les Waldorf comme étant sa famille et que juste après, il avait emménagé dans un petit studio dans le Queens, trouvé un boulot de caissier dans un Seven Eleven et entamé des études d'ingénieur du son. Ma tante m'a aussi confiée que mon grand père maternel avait pris en charge le paiement de son loyer les premières années. Mais après, j'en sais pas plus.
- Vous ne lui avez pas reparlé depuis que vos parents l'ont mis à la porte ?
- Non. J'avais trop honte pour oser lui parler, même si je le croisais souvent quand il vivait chez les voisins. C'était moi qui aurait dû être jetée de la maison vous comprenez ? Pas lui ! J'ai longtemps cru que j'avais détruit sa vie.
- Ce n'est pas le cas ?
- Je ne crois pas. Je vais souvent sur sa page facebook pour savoir ce qu'il fait et il n'a pas l'air malheureux. Il travaille dans une boite de production comme il le voulait, il a eu des petites amies aussi même si ça a jamais duré plus d'un an. Et j'ai aussi vu qu'il avait adopté un chien le mois dernier.
- Pourquoi ne pas être allée le voir depuis votre sortie de cure dans ce cas ?
- Parce que j'avais beaucoup trop peur. Peur qu'il me dise que tout va bien sans me dire qu'il me pardonne. Peur de le voir me sourire en sentant qu'il me déteste quand même. J'ai juste... la trouille.
- Mais si vous ne lui rendez pas visite, vous ne serez jamais fixée n'est ce pas ?
- Non, admet Sarah en baissant piteusement les yeux sur ses mains.
- Maintenant dites moi, qu'est ce que vous voulez lui dire exactement, à votre frère ?
- Que je suis désolée. Que si je pouvais, je reviendrai en arrière et j'avouerai que l'herbe était à moi. Que j'aurai dû tenter de raisonner nos parents. Et surtout, je voudrai lui dire... »
La jeune femme s'interrompt une seconde, comme pour tenter de refouler l'émotion de plus en plus forte qui la gagne. Et finalement :
« Surtout, je voudrai lui dire que je l'aime.
- Alors allez y, ne perdez pas plus de temps, conclut la psy en lui adressant un sourire encourageant. »
Sarah hoche la tête. Elle a toujours peur, parce qu'à présent son frère semble être un inconnu total pour elle. Mais malgré tout, une part d'elle est confiante. Parce qu'elle sait que son frère est quelqu'un de gentil et qu'il l'aime suffisamment pour n'avoir jamais révélé la vérité sur l'affaire de l'herbe à leurs parents. Elle sait que les choses s'arrangeront à la seconde où elle lui aura présenté ses excuses. Tout ne sera pas rose dès le départ, ils devront rebâtir une relation qui n'a jamais eu de réelle base, mais pour ce frère qui n'a jamais manqué de lui envoyer un mail pour son anniversaire ou sa remise des diplômes, elle le fera.

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