it's easier to be apart | beth

L’eau claire ; comme le sel des larmes d’enfance,
l’assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes ;
la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes
sous les murs dont quelque pucelle eut la défense ;

l’ébat des anges ; — Non… le courant d’or en marche,
meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d’herbe. Elle
sombre, avant le Ciel bleu pour ciel-de-lit, appelle
pour rideaux l’ombre de la colline et de l’arche.

Voici mon poème préféré d'Arthur Rimbaud, je sais que tu aimes les poètes français. Je te laisserai le soin de le traduire. Aujourd'hui, tu as déjà douze ans, que le temps passe vite. Où est passé le temps où je t'appelais Lilybeth ? New York est grandiose, comme je l'avais imaginé. Mais vous me manquez, beaucoup. Plus que tout autre chose. La chaleur de l'Arkansas aussi. Vous pourriez peut-être me rendre visite ? Les premières leçons se passent bien, je suis honorée de faire partie du jury de sélection. Tu t'y plairais et les surpasserait tous j'en suis sûre. Envoie moi de nouvelles vidéos de toi au studio que je puisse te conseiller sur tes postures. Toujours à la même adresse. Je t'embrasse une infinité de fois, plus que cinquante-trois jours séparé de toi.

Maman

Une valse à trois temps
Qui s´offre encore le temps
Qui s´offre encore le temps
De s´offrir des détours
Du côté de l´amour
Comme c´est charmant

« Elisabeth Saetre, treize ans, Arkansas… vous connaissez Natasha Saetre ? » Elle était tentée de répondre non. Mais à la place elle garda le silence et hocha la tête positivement, devant les yeux pleins d’espoirs du jury. Un coup d’œil fragile vers les nœuds usés de ses chaussons. Elle tournait, tournait jusqu’à n’en plus pouvoir. Puis, ce fut la fin et elle attendit le verdict.

Beth enfila son costume. Une magnifique robe voilée ocre et or. C’était Roméo et Juliette, elle n’avait qu’un rôle  de simple figurante dans l’adaptation de l’œuvre de Shakespeare. Beth n’en était pas moins fière pour autant, elle n’avait que dix-sept ans, beaucoup d’autres auraient rêvées d’être à sa place. Une des danseuses l’aida à retoucher son maquillage pailleté et à réajuster son chignon. Le spectacle commença, et la foule acclama la scène d’ouverture. Toute une multitude de personnes en habits hors de prix applaudissaient et elle les observait discrètement dans un coin depuis les coulisses. Son téléphone vibra. Félicitations ma chérie. Rends moi fière. Le stress montait et lui noua consciencieusement la gorge. Elle s’allongea alors par terre, reprenant sa respiration, comme le faisait tous ses camarades lorsqu’ils sentaient qu’ils allaient perdre la face. Mais là, le mélange d’excitation, de peur et d’impatience qu’elle ressentait créait un fourmillement dérangeant et agréable à la fois au creux de son ventre. Elle se releva et s’étira une dernière fois. C’était son tour, ainsi que celui de cinq autres ballerines.

Au premier temps de la valse
Toute seule tu souris déjà
Au premier temps de la valse
Je suis seul, mais je t´aperçois

Elle ne supportait pas l’échec, c’était peut-être pour cela qu’elle avait autant de mal à attendre que la petite barre bleue s’affiche sur le test. Assise sur le sol froid de la salle de bain, elle savait déjà que c’était une nouvelle vaine tentative. Elle jeta trop vite le tout à la poubelle et se lava les mains. Elle frottait ses doigts si forts qu’à présent ils demeuraient écarlates. Vaste chambre, vaste salon. Elle apparaissait comme un fantôme dans l’immensité et scrutait l’écran de télévision. Elle tentait de ne pas s’en mêler, de regarder la chaîne people le moins possible pour ne pas s’immiscer. Mais, depuis quelques jours, elle ressentait le besoin de voir. Sa plus grande fan, il ne pouvait pas en douter, c’était elle. Elle le regardait sourire et s’incliner devant les foules en délire, plus heureux que jamais. Alors, de temps en temps, elle avait envie d’en faire partie, de faire savoir au monde qu’il était à elle. Loin de le considérer comme une propriété. D’avantage comme un poids qu’elle traînait sans s’en rendre compte. Cette impression de moins compter. D’être oubliée. L’amour qu’elle lui portait la brûlait de l’intérieur, indescriptible. Et elle savait que si elle en était privée, plus rien ne compterait.