Just to get high - Sasha

Vendredi soir, lumières vives, musique trop forte, alcool qui coulait à flot, pilules colorées qui circulaient, et toi, comme toujours qui prenait tout ce qu'on te donnait sans réfléchir, sans même demander ce que c'était, à vrai dire, tu t'en foutais, ces soirées là étaient tes moments d'évasion, ceux où tu pouvais enfin t'échapper, embrasser un total sentiment de liberté, ces soirées là tu t'affranchissais de tout, de ta culpabilité, de ton envie de crever, tu buvais tout ce qui te passait sous la main, tu avalais tout ce qu'on te tendait, tu mélangeais, tu prenais des risques, flirtais odieusement avec les limites du danger, et même si le sentiment était factice, même si tu savais qu'il ne durerait qu'un temps, tu te sentais heureux, tu te sentais bien, à danser, à te perdre jusqu'à des heures avancées au milieu d'autres âmes probablement aussi perdues, aussi damnées que la tienne, des personnes que tu appelais amis le temps d'une nuit mais qui disparaîtraient le matin venu, jusqu'à la prochaine soirée, c'était des nuits de dépravation, des nuits de décadence et tu aimais ça, tu trouvais ça presque poétique, presque beau, c'était devenu ton oxygène, ton addiction.

Pourtant comme toute chose, ces instants de magie, n'étaient pas gratuits, comme toute chose ils venaient avec un prix, et même si tu le savais élevé, même si tu savais ce qu'il t'en coûtait, tu continuais de le payer encore, et encore, quand une fois la musique et les lumières éteintes, la fête terminée, ton esprit refusait de revenir à la réalité, quand tu titubais dans les rues en espérant réussir à retrouver le chemin de la maison, quand tu trébuchais et que ton corps heurtait les murets, les voitures, quand le long du chemin la redescente commençait.E si, l'instant d'avant tu avais connu le paradis, c'était une descente en enfer qui débutait, comme à chaque fois, le pire en toi qui se réveillait, les souvenirs atroces qui se jouaient, la froideur et l'indifférence de ta mère, tes larmes d'enfant pour qu'elle te prenne dans ses bras, pour qu'elle n'ait ne serait-ce qu'un regard vers toi, la sensation d'être seul, d'être oublié, les insultes, les coups de Jakob quand il avait compris que tu étais gay, les insultes et les coups quand il avait réalisé plus tard que tu lui échappais, les cris dans la voiture ce jour là, les mots de haine, l'envie de liberté, ce « j'aimerais vraiment que tu ne sois jamais né » que tu lui avais lancé, l'instant d'inattention, et le camion, le néant, la mort, la culpabilité, l'impression de ne plus être vraiment complet...Toutes ces sensations, ces émotions qui remontaient, qui explosaient en toi, toutes ces fois où en rentrant à pieds tu avais hésité, à rester au milieu de la route, à monter sur le toit de l'immeuble, toutes ces fois où sur le chemin du retour la mort t'avais tendu les bras, et où la seule chose qui te permettait de résister était l'image de Sasha parce que tu n'avais pas le droit de le laisser, tu n'avais pas le droit de lui faire ça, alors tu finissais toujours par rentrer et par t'effondrer attendant le lendemain où la douleur qui te saisirait te rappellerait que tu étais bien vivant, que tu l'avais fait, survivre à encore une autre soirée.

Cette fois n'avait pas fait exception, même nuit de décadence que les autres fois, mêmes drogues, mêmes alcools qui coulaient dans tes veines, qui empoisonnaient ton système, même sensation fausse de bien être, même redescente infernale, souvenirs intolérables, tu avais réussi à rentrer dans cette maison que tu appelais « chez toi », claqué maladroitement la porte derrière toi alors que tu essayais de trouver le chemin de la cuisine, te cognant contre les meubles, contre les murs sans même réagir, sans même le sentir, le monde tournant beaucoup trop autour de toi pour réussir à faire quoique ce soit.

Dans un grand bruit le verre que tu essayais d'attraper t'as échappé et alors que tu glissais au sol pour essayer de ramasser, tu es resté muet face au verre brisé, détestant ce que ton cerveau imaginait déjà, le verre, ton poignet, tu détestais la tournure que tes pensées prenaient, jusqu'ici tu t'étais toujours cru à l'abri de ça dans cette maison, à l'abri des voix, à l'abri de tes pensées, mais face au verre sur le sol, tu ne savais pas, ne savais plus, si tu serais vraiment capable de résister.

Tu te sentais complètement dissocié, entre la peur, l'envie, la douleur, les larmes qui glissaient sur tes joues, tu te sentais bloqué, coincé, paralysé, comme si deux parties de ton esprit s'affrontaient et que tu devais juste attendre patiemment qu'elles se décident, entre mourir, ou vivre.

La colère. Sentiment primitif qui domine chez des centaines de personnes, cohabitation particulière avec la tristesse, souvent. La rage, l’empathie qui disparaît de ton corps aussi vite que brûle une cigarette ou même, qu’une allumette. La haine qui bouille dans ton sang. Personne ne comprend, personne, ils ne comprendront jamais de toute façon. Elle est morte. Elle est morte et t’es seul. Elle est morte et tu savais que ça arriverait, tu le savais, elle et ses cheveux colorés de Rose, elle et son sourire à en faire rougir les morts. Cette boule de colère, sous tes poumons, présente, c’est une douleur qui ne fait pas mal et qui pourtant donne envie de hurler. Sentiment exacerbé à l’extrême, tu lui en veux, tu vous en veux à tous. Elle t’abandonne, il t’avoue une chose que tu ne peux répéter. Pauvre enfant toujours prit entre deux feux. Sasha qui se débat dans ses rêves et qui hurle même parfois. Sasha gardien du secret, Sasha qui n’en peut plus et qui s’écroule. Sasha qui doit se faire ange alors qu’il n’est que démon, Sasha qui doit vivre avec ce monstre de rage qui grandit en lui bouffant sa patience et son âme. Et ce baiser, erreur d’enfant, erreur de parcours, il ne peut pas être gay, il ne l’est pas, mensonge pour que tu tombes encore plus dans les toiles de l’araignée, pourtant tu sais qu’il ne ment pas, mais tant pis, tu n’as pas que ça à faire, d’autres choses plus importantes dans la tête, t’es qu’un crétin hurlant dans sa douche ou dans son oreiller pour essaye d’expulser la douleur brûlante et lancinante que te cause la colère. Tant de synonymes, tu le sais, tu te perds entre les notions et les idées, entre ce que tu es et devrais être, ce que tu devrais ressentir et ce que tu ne devrais pas. Tu te perds dans un monde d’illusions que tu t’es créé de toutes pièces sans ressentir le besoin d’en sortir. Ça durait, depuis un moment, les portes qui se claquaient un peu trop souvent, Skye que t’entendais en bas. Tu ne pouvais qu’imaginer. Alors, c’était le moment, l’instant, non ? La douleur que tu imaginais dans son corps mais la douleur qui prenait une place trop importante dans ton cœur. Un bruit, un seul, la porte qui claque, pas le plus effrayant, plus le son d’un verre qui se brise, et tu le savais, le sentait, une chose qui allait se passer. Alors tu descends les escaliers, parce que le bruit était beaucoup trop intrigant, parce que l’angoisse était présente dans ton cœur, parce que tu le savais, qu’il allait être dans un état que tu ne pouvais pas imaginer. Et ça t’a brisé le cœur, enfant à genoux, au sol, contemplant des morceaux de verre, et d’un mouvement de pied tu repoussais les débris, quitte à te faire mal tirant également Skye en arrière. « T’y pense encore une fois et c’est moi qui te tue. » Œil rageur et tes lèvres qui se posent sur les siennes. « Va t’asseoir. » Tu ne demandes pas, tu obliges, rien de plus. Alors tu prépares, de l’eau, de la nourriture, tu ne sais pas ce qu’il a pris, ne veux pas savoir.

Spectateur muet de ta propre décadence, tu écoutais les voix se disputer, se déchirer dans ton esprit en silence, vie et mort qui s'affrontaient, sempiternel combat de l'humanité, tu attendais juste patiemment que la sentence soit prononcée, les yeux rivés sur les éclats de verre qui brillaient à la lumière de la lune, c'était presque beau, presque poétique, image qui te rappelait la dernière que tu avais eu avant de sombrer après l'accident, des milliers d'éclats de verres aussi qui brillaient autour de toi, parallèle qui a probablement fait basculer le combat, fait basculer ton choix.
Lentement tu as tendu la main, prudemment aussi vers ce qui t'apparaissait maintenant comme ta délivrance, l'esprit vide de tout, de rien, dans un calme parfait qui t'effrayait pourtant, tu n'aurais jamais imaginé ta mort comme ça, tu aurais aimé qu'elle se passe autrement, que tout se passe autrement, tu aurais aimé avoir eu plus de temps, plus de courage ou plus d'espoir, mais tu n'en avais plus. Et alors que dans ta tête tu faisais tes adieux, que tu t'excusais, renonçais, prêt à te laisser aller, tu as senti une main te tirer en arrière, entendu une voix que tu ne connaissais que trop bien s'élever, te dire que si tu y pensais encore une fois, c'était lui qui allait te tuer, avant que des lèvres, toutes aussi familières que la voix ne se posent sur les tiennes dans un chaste baiser.

« Sasha ? »

Tu as cligné des yeux à plusieurs reprises, comme tout juste ramené à la surface alors que tu te noyais, comme émergeant de l'obscurité.
Tu n'avais aucun souvenirs de ce qu'il venait de se passer, regardait autour de toi sans comprendre, obéissant simplement à l'ordre d'aller t'asseoir, sachant très bien que la réalité ne tarderait pas à revenir te frapper et tu ne t'étais pas trompé, quelques secondes plus tard, les images te revenaient, celles de la soirée, l'alcool, les drogues, la déchéance des anges, mais surtout, celles du verre sur le sol, de ton poignet, du choix que tu avais fait. Sous le choc tu as failli crier, mais n'as pas réussi à émettre le moindre son alors que les larmes commençaient à inonder tes joues, la panique à t'oppresser.
Ce n'était pas la première fois que tu dérapais, tu savais bien que sous l'effet des drogues que tu prenais, tu te retrouvais souvent dissocié, comme si une autre personne prenait le contrôle, comme si tu n'étais qu'un simple pantin, possédé, comme si tu avais une toute autre personnalité, c'était ce que tu recherchais, même si tu savais aussi qu'il t'arrivait souvent dans cet état là d'avoir envie de crever qu'il t'arrivait souvent de l'imaginer, le rêver, le fantasmer, mais tu n'aurais jamais pensé que tu aurais vraiment essayé.

« Je suis désolé...Je suis désolé... »

Tu avais envie de parler, de t'expliquer, mais tu n'arrivais pas à faire autre chose que bégayer, balbutier des excuses qui n'avaient aucun sens, tu prenais juste conscience que tu avais besoin de te faire aider, que tu ne pouvais pas rester tel que tu étais.

Et c’est comme si tu ne pouvais plus respirer, des images qui te sortent de la tête comme un kaléidoscope forcé, comme si tu devais voir ça, te souvenir, toutes ces filles qui se mutilent à ton lycée, celles qui font ça pour se rendre intéressante et celles qui font ça parce que ça ne va pas, celles qui sourient derrière des larmes et celles qui ont des larmes derrière leurs sourires.
Et c’est ce que tu vois, c’est ce que tu penses, tu penses à la mort quand tu vois ces morceaux de verre au sol, tu penses à ce que tu vas subir, tu penses au fait que tu vas le perdre à chaque fois que tu le regardes, que tu le revois pencher sur ces morceaux, la peur qui bouffe tes veines et ton orgueil qui te disait de ne pas agir, sauf que tu ne pouvais pas, tu devais l’aimer, tu devais lui dire, lui dire que ça irait, que tu ne connaissais pas le mal qui le rongeait en particulier mais que ça irait, parce que tu voulais avoir une respiration plus claire et pas couper par la douleur d'une panique qui fermait tes poumons. Les mots qui s’échappent, les hurlements que tu retiens, s’il le fait, tu le tueras après, encore et encore, briseront son cou, cassera ses os, enfoiré qui voulaient t’abandonner, égoïste, tu le vois, le sait, l’imagine, les larmes qui perleraient bien aux coins de tes yeux parce que c’est tout ce que tu as besoin de faire ce que tu dois faire. Parce que tu l’aimes, que ça t’arrache la gorge, tu l’aimes et tu te sens comme un traître, déchet d’une nouvelle espèce, crétin d’un nouveau genre.
Sasha idiot, enfant qui tombe amoureux d’un ange tombé du ciel, créature aux yeux trop bleus au sourire trop pur, sourire aux dents blanches et aux coins trop larges, lèvres pulpeuses et moue qui ravage des cœurs. Peur de faire trop, d’être de trop. Les mains sur les joues de l’homme qui se met à paniquer, les mains sur son visage, le regard dans le sien.

« Je sais bébé, je sais. »

T’as l’impression que c’est mal, que tu trompes ta sœur, que t’es une bestiole idiote qui vole les petits amis des autres, t’as l’impression d’être un fantôme, ou bien même qu’un fantôme veille sur toi et se fout de ta gueule, un fantôme translucide aux cheveux roses.

« Je t’aime, je t’aime, j'suis là et je pars pas. »

Il jure, promet, il est présent ombré qui caresse les cheveux un peu trop blonds et qui murmure des mots apaisants, qui se demande ce que l’autre a pris.

« Je veux pas que tu meures crétin. Tu restes avec moi et puis c’est tout, je te garde avec moi. »

Les sourcils froncés, ton front contre les siens et tes mots comme un liquide rougeâtre, comme une déclaration, une vraie déclaration, première fois que tu lui avoues, que tu lui dis que tu l’aimes.

Alors que les excuses franchissaient tes lèvres, vides de sens, creuses, sans intérêt, jamais que trois mots que tu bégayais, que tu bafouillais entre deux sanglots, tu te revoyais encore en pensée, penché sur les morceaux de verre éparpillés au sol, tu revoyais le geste que tu avais eu, tes doigts d'enfant comme guidés vers l'instrument de ta propre fin, et tu savais que si Sasha n'était pas intervenu, si pour une raison, ou pour une autre il n'était pas descendu, trop las d'être toujours celui qui intervenait, qui te rassurait, qui te calmait, tu aurais vraiment tenté de te suicider et tu ne comprenais pas pourquoi, pourquoi tu étais comme ça, pourquoi quand tu étais drogué, défoncé, tu avais ces moments d'inconscience où tu voulais te blesser, te tuer, pourquoi sous l'influence des produits tu avais ces moments où tu étais à ce point dissocié, et ça te faisait peur, t'effrayait, tu avais l'impression d'être un véritable danger, pour toi, pour les autres, pour le monde, entier, tu n'arrivais même plus à respirer convenablement tellement l'angoisse t’oppressait, l'air refusant d'arriver jusqu'à tes poumons, alors tu pleurais simplement, tu t'étouffais, tu t'excusais, pathétique enfant, pathétique gamin bien trop décadent.

Ce ne fut que quand ses mains se posèrent sur tes joues, son regard dans le tien, ce ne fut que quand le surnom franchit ses lèvres que tu arrêtas enfin de suffoquer, t'accrochant à ses yeux comme à une bouée de sauvetage, comme à une ancre pour ne pas sombrer, pour ne pas te laisser submerger encore une fois, tu avais besoin de lui, terriblement, cruellement besoin de lui, de sa présence, de ses baisers, de ses bras, de son odeur, tu savais que c'était mal probablement, que tu aurais dû vouloir ça de Zora mais c'était ainsi, toi la personne que tu voulais c'était Sasha, Sasha et ses cheveux blonds, ses yeux bleus, son sourire, Sasha et ses larmes aussi, ses secrets, sa beauté, c'était lui que tu voulais.
Et puis, la déclaration qui suivit, qui acheva de te calmer, alors que tu glissais tes bras autour de lui, première fois qu'il te le disait, trois mots qui t'apaisaient complètement, léger sourire qui se dessinait sur tes lèvres, larmes qui séchaient sur tes joues, comme un rayon de soleil, un peu de lumière dans l'obscurité, il t'aimait, il ne voulait pas que tu meurs, et il ne partirait pas, te garderait avec lui, mots que tu avais désespérément eu besoin d'entendre et qui te rendaient un peu ta lucidité.

« Moi aussi, je t'aime, mon ange »

Front contre le sien, yeux dans les yeux, contact que tu n'avais aucune envie de rompre, un peu trop bien comme ça, tu aurais aimé arrêter le temps à cet instant, que plus rien n'existe après ce moment, mais tu as fini par briser le silence, envie, besoin de lui parler, de t'expliquer

« Je me fais peur tu sais...Quand je me dis que si t'étais pas venu, je serais même plus là pour te parler, ça me fait flipper...Je comprends pas ce qu'il se passe avec moi, je comprends pas ce qui va pas, je veux dire..oui j'y pense des fois mais de là à le faire vraiment ? »

C'était peut être la prise de conscience qu'il te fallait, tu réalisais que tu ne pouvais plus continuer à t'enfermer dans la drogue et l'alcool pour fuir tes problèmes, pour fuir ce qui n'allait pas, tu comprenais que si ça te soulageait sur le moment, ça ne faisait que tout amplifier en redescendant, tu réalisais que le danger était beaucoup trop grand, que tu ne pouvais plus te taire, qu'après un an de fuite, un an à ignorer, un an de déni, il était temps que tu te confies.

« Je peux pas continuer comme ça je crois...»

L’angoisse, c’était juste une angoisse de plus, l’angoisse qui faisait tourner ton sang dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, l’angoisse de le perdre, l’angoisse d’être seule, l’angoisse qu’il en finisse, la peur quand tu avais vu ces morceaux de verre quand tu avais entendu le porte claquée, quand tu avais observé cet homme que tu aimais au sol, dans une position de faiblesse un peu trop ultime, position catégorique, l’envie de mort dans les yeux, l’envie d’en finir alors que tu l’aimes, et tu te sens mal, parce que t'es pas assez; Tu ne seras jamais assez et tu le sais, t’es même pas censé être amoureux de ce gars, t’es censé être un gamin qui est heureux pour sa sœur. Tu devrais, tu devrais être l’enfant sage qui ferme sa bouche, qui ne commente pas, le gamin heureux de sa vie qui n’a aucun souci, celui qui se mêle seulement à la foule, enfant inintéressant. Gosse fragile qui refusait, ne voulait pas, les gestes précipités, la voix un peu trop haute, maintenant t’a peur que ton frère et tes sœurs soient réveillés, mais sachant que ce sont des souches il y a peu de chances. Les gestes que tu fais, les mots que tu dis, tu les penses, tu veux qu’ils soient compris, entendus, assimilés, gamin qui se perd dans les notions qu’il emploie, utilise, petit con qui se fatigue à essayer d’être parfait. Déclaration qui te fait mal à la gorge, aux poumons, déclaration qui te brûle mais qui te fait aussi du bien, déclaration qui enlève la glace de ton cœur, tu as essayé de l’enterrer, cet amour de gamin, cet amour naissant, mais t’y arrives pas.
Et il te le dit, il te répond, respiration que tu prends, respiration qui apaise tout ton corps, qui te calme toi aussi, tu avais peur, peur d’une autre crise, peur d’avoir un trou dans le cœur et d’être rejeté avec violence, mais ce n’est pas le cas, et tu souris avec toutes tes dents.

« Je voudrais que t’arrêtes d’y penser. »

Les larmes qui coulent sur le bord des yeux, tu voudrais qu’il soit avec toi, seulement avec toi, qu’il arrête de se détruire, parce que s’il continue tu partiras en flammes avec lui. Mais tu ne dis rien, sourit seulement, tu souris parce que ça ne changerait rien, parce qu’il sait ce qu’il doit faire et que tu n’es qu’un interprète de ses mots.

« Tu sais que je suis là ? J’ai déjà perdu quelqu’un cette année, je ne veux pas perdre une personne encore plus importante. S’il te plaît. »

Tu voudrais qu’il reste envie, parce que tu es égoïste et que tu connais Skye, parce que tu sais qu’il ne le veut pas de toute façon, ça serait idiot autrement, t’es là, il a une maison, il est aimé, tu ne comprends pas, à peur de comprendre.

« Explique-moi Skye. Tu veux bien ? »

Et tu acquiesçais simplement, hochant la tête silencieusement quand il te dit qu'il voudrait que tu arrêtes d'y penser, même si tu n'arrivais pas à faire autrement, même si tu revoyais sans cesse les mêmes images qui t'effrayaient et auxquelles tu aurais pourtant voulu échapper.
Tu acquiesçais aussi, quand il te demanda si tu savais qu'il était là pour toi, quand il te confia qu'il avait déjà perdu quelqu'un cette année et qu'il ne voulait pas te perdre toi, parce que tu la connaissais toi aussi cette personne là, parce qu'elle avait été jusqu'à aujourd'hui la seule à savoir pour tes idées noires, parce qu'elle avait été là en soirée avec toi, qu'elle t'avait vu sombrer et parce qu'au fond ça vous avait toujours fait rire cette dualité entre vos deux situations, elle condamnée qui voulait vivre et profiter, qui cherchait à s'amuser parce qu'elle savait que tout finirait bien trop tôt, et toi miraculé qui voulait mourir, qui cherchait dans la drogue, dans l'alcool, une manière de t'auto-détruire sans trop souffrir.
Tu acquiesçais, parce que tu n'arrivais pas à parler, ou parce que tu en avais peur peut-être, tu n'avais jamais vraiment su faire la différence entre tes émotions, mais tu savais que tu allais devoir faire un effort, parce que Sasha te demandait de lui expliquer exactement, de dire une bonne fois pour toute ce qui n'allait pas, ce dont il était témoin depuis des mois, parce que tu en avais cruellement, définitivement besoin aussi. Besoin de dire les choses, tout ce que tu gardais en toi depuis un an déjà , ou alors que tu n'évoquais qu'à mots cachés comme à Noël, intériorisant tout, te détruisant avec ça, prenant des drogues pour oublier mais laissant les souvenirs revenir, t'agresser à chaque fois que les effets se dissipaient, explosant parfois aussi, t'enfermant pour pleurer, hurler en silence, incapable de dormir la nuit non plus, revivant sans cesse les mêmes scènes, impuissant.
Plus le temps passait, plus tu avais l'impression d'être une bombe à retardement, l'impression qu'un jour tu allais juste exploser en emportant tout autour de toi, l'impression qu'un jour tu n'allais plus pouvoir encaisser, qu'un jour ça allait tout simplement te tuer, et tu ne le voulais pas, tu ne voulais pas que ça arrive, malgré tout, malgré la douleur, tu ne voulais pas mourir, tu voulais vivre, t'en sortir et tu savais ce que tu devais faire pour ça, tu savais qu'on aurait beau te tendre la main, c'était inutile si tu refusais à chaque fois, prétendant pouvoir te relever seul, faisant semblant continuellement, tu savais qu'on ne pouvait pas sauver quelqu'un qui refusait fermement de l'être, alors tu as fait un effort, tu as séché tes larmes d'un revers de main, déterminé, et tu as plongé tes yeux dans l'océan de ceux de ton amant.

« Mon frère jumeau...Jakob, il est pas « parti », il est mort »

C'était dit, pour la première fois tu cessais avec tes métaphores, tes phrases politiquement correctes et tu le disais, il était mort, et il ne reviendrait jamais, réalité un peu trop brutale, un peu trop définitive, douleur qui t'envahit, te coupant la respiration pendant un instant, l'impression d'imploser, tu ne savais pas, que dire des mots pouvait autant blesser

« On a toujours été fusionnels, faut dire que c'était la seule personne qui m'aimait un minimum. Ma mère a jamais pu me supporter, j'étais pas franchement un gamin apprécié des autres alors je m'accrochais à lui, il était tout mon univers, je faisais toujours tout ce qu'il disait, tout ce qu'il voulait pour lui plaire et je pense qu'il aimait ça dans un sens, qu'il en profitait puisqu'il me frappait, m'insultait, à chaque fois que j'osais regarder quelqu'un d'autre que lui »

Comme le petit garçon, le petit blond que tu avais embrassé dans la cour de récréation, ce geste pour lequel il t'avait puni si violemment que, avant d'embrasser Sasha, tu avais toujours nié pouvoir être gay.

« J'ai pris conscience du côté malsain de notre relation quand on a eu notre appartement à l'université, quand il a voulu m'empêcher d'avoir mes propres amis, de sortir, mais j'ai refusé d'obéir,et tous les jours on se disputait, tous les jours on en venait aux mains, puis y a eu l'accident... »

Et c'était là que les choses devenaient difficiles, douloureuses à dire pour toi, c'était le moment de rassembler ton courage, de forcer les mots à sortir, parce que c'était à cet instant précis, à ce moment là que toute ta vie avait basculée, que tout avait changé, cet instant précis que tu te remémorais, conscient, ou inconscient, la nuit, la journée, ce moment qui te hantait, ce moment qui te détruisait.

« Ça faisait deux mois que les cours avaient commencé à ce moment là, comme tous les matins je conduisais pour nous emmener à l'université et on a commencé à se disputer, pour être honnête je sais même plus à cause de quoi...Et je lui ai dit... »

Tu as marqué une pause, hésitant, peu importe si par la suite tu arrivais à faire ce deuil impossible, ces mots là, jamais tu ne te les pardonnerais.

« Je lui ai dit que j'aurais préféré qu'il meurt. Quand j'ai reporté mon attention sur la route, y avait un camion en face de nous et c'était déjà trop tard pour freiner. Je me rappelle de rien ensuite, quelques images, quelques sons, mais c'est flou, j'ai repris connaissance une semaine plus tard et on m'a annoncé que j'étais le seul à avoir survécu à l'accident, que c'était un miracle ou quelque chose dans le genre. »

Un rire t'as échappé, malgré toi, amer, connaissant la suite de l'histoire, tu ne savais vraiment pas de quel genre de miracle on parlait, pour toi c'était bien plus une punition, une malédiction déguisée.

« Je sais pas pourquoi je suis en vie, je sais pas pourquoi je suis pas mort comme tous les autres ce jour là, je sais juste que j'ai dû tout réapprendre, que tu me vois peut être comme quelqu'un de normal là comme ça mais qu'il y a un an je savais même plus comment parler ou marcher, que j'ai même encore mal souvent même si je le dis pas...Je sais juste que ma mère me déteste encore plus qu'avant, qu'elle me harcèle constamment de messages pour me dire que je suis un meurtrier, et  je sais juste, que parfois je finis par me convaincre qu'elle a peut être raison au fond parce qu'après tout c'était moi qui conduisait. »

Tu as eu un sourire triste avant de baisser les yeux, et de laisser de nouveau des larmes couler sur tes joues malgré toi

« C'est juste ça »

C'est jamais que ça.