(levi) watch your back

Maisy, elle avait pris l'habitude. Ses journées se ressemblaient toutes, si bien qu'elle avait perdu cette manie de fixer l'horloge, les premiers jours. D'autant plus que désormais, elle n'était jamais sûre de terminer à l'heure. Le diner minuscule dans lequel elle gagnait un maigre salaire n'avait rien de glorieux. Mais au moins, il tournait assez pour rester ouvert. Ce soir-là, il ne restait plus qu'elle et un homme attablé à la banquette du fond. Serviable, elle attrapa sa cafetière et s'approcha de ce dernier. - Du café?, lâcha-t-elle dans un sourire poli, mais sincère. Elle en voyait passer beaucoup, des visages, mais certains restaient, sans raison particulière. Elle le servit en silence, silence brisé par la clochette que le patron avait accroché au-dessus de la porte, qui annonçait un nouveau client. En un clin d'oeil, l'homme qui venait de passer la porte, la quarantaine, petit mais enrobé, s'était déjà installé. - Serveuse, siouplé! Il lâcha un rire rauque et visiblement alcoolisé, et Maisy soupira discrètement en s'approchant. - Monsieur. Qu'est-ce que je vous sers? Il la reluqua, des pieds à la tête, d'un regard salace qu'il peinait à fixer tant il était éméché. - Un hamburger, ma jolie. Maisy ne releva pas, trop habituée aux clients peu respectueux. Et puis, en se tournant, elle l'entendit. - Et un peu de... Ça. Il lui colla la main au fesse, comme pour illustrer sa demande. Ni une ni deux, Maisy attrapa son poignet et le retourna pour se dégager. Elle était frêle, peu encline à la violence, mais elle avait quelques séances de self-défense à son actif. L'homme lâcha une grimace alors qu'elle lâchait son poignet. - Ne me touchez pas. Il lui offrit un sourire jauni sans doute pas trop de tabac, et tenta le coup à nouveau. - Allez ma jolie, c'est pas pour rien que ta robe est si courte. Maisy détestait cette sensation de n'être qu'un objet, et maudissait son boss d'avoir exigé qu'elle porte une robe et non un pantalon. Elle entendit l'homme de la banquette se lever, et demander si tout allait bien. - Oui, oui, merci. Elle lui sourit de nouveau, et puis elle sentit le Crétin se lever derrière elle. Punaise.

Adossé contre la banquette, l'ancien champion de boxe plongea son regard sur l'extérieur du restaurant. Une immense baie vitrée lui offrait le luxe de profiter de l'agitation de la rue. New-York était une ville fascinante et tellement différente de ce qu'il avait connu jusque-là. Norma aurait adoré vivre ici, partager le quotidien d'une ville cosmopolite et de tous les possibles. Malheureusement, le destin en avait décidé autrement ; sa femme lui avait été arrachée par un fou furieux jaloux de sa carrière et de son succès. Jamais Levi ne connaîtrait le bonheur de déménager, de fuir cette cité qui lui était néfaste, de fonder un foyer avec une femme aimante ... elle seule qui savait le comprendre. Une voix guillerette le tira de sa morbide léthargie. Face à lui, une jeune femme, cafetière en main lui proposa de remplir sa tasse ; Wade accepta sans une once de réflexion. Six, sept ... Il ne savait plus combien de cafés il avait ingurgité ce soir. Mais après tout qu'importait ? La caféine lui faisait un bien fou et comme à son habitude, il n'avait pas l'intention d'aller se coucher, fuyant ses rêves douloureux pour une réalité moins néfaste à supporter. La brunette s'échappa à l'avant du restaurant lorsqu'un client passa la porte du diner. Le boxeur replongea dans ses pensées lorsque la voix angoissée de la serveuse parvint à ses oreilles. Sans aucune pudeur, le client fortement alcoolisé, venait de glisser ses doigts sous l'uniforme de la jeune femme. Levant les yeux au ciel et poussé par une étonnante énergie, il se leva avant de s'approcher de l'homme hilare, satisfait de ses grivoiseries. "Tout va bien ?" lâcha-t-il dans un grognement. Le regard fuyant de son interlocutrice traduisit sa panique, mais professionnelle, elle demeura calme et posée. L'ivrogne ne l'entendit pas de cette oreille et alors que la serveuse s'échappait en cuisine, il tenta de la retenir. D'une rapidité à vous couper le souffle, Levi attrapa sa main avant de la retourner, le bloquant ainsi au niveau de son poignet. "J'arrêterai les conneries si j'étais toi !"    

Toujours garder son sang froid. Même lorsqu'un client trop lourd vous colle sa main aux fesses, du moins s'il voit encore assez net pour la poser au bon endroit. C'était la règle fondamentale d'une bonne serveuse. Le patron aurait même pu l'imprimer pour la coller partout, tant il insistait là-dessus. Un client était un client, aussi irrespectueux soit-il, et un client, c'est de l'argent. Alors, Maisy restait calme. D'apparence, elle semblait totalement sereine, mais son regard et son cœur qui battait la chamade auraient pu ruiner tous ses efforts pour respecter la règle numéro un. Par chance, elle n'était pas seule. Oh dieu, elle ne voulait même pas imaginer ce qu'elle aurait pu faire si elle avait été seule avec cet ivrogne qui empestait la transpiration et l'haleine au tabac. - J'arrêterai les conneries si j'étais toi ! Le client du fond, deux fois plus grand et baraqué que la petite loque qui se croyait maline avait attrapé son poignet. Maisy écarquilla les yeux de surprise et aussi, de panique. Son cerveau analysa huit mille scénarios possible, en deux secondes. Soit, le grand musclé était du genre sang chaud, et explosait l'autre gringalet en un seul coup, et elle devrait nettoyer tout le sang avant de se faire virer et elle finirait sous les ponts. Ou alors, c'était l'inverse, la bouteille de vodka sur jambes était en fait un ancien boxeur à la ramasse, mais avec de très bon réflexes et- ah non. Il venait de tenter un crochet du droit totalement raté, et tanguait sous le choc de son coup dans le vide. Et l'autre, lui, il lui décrocha une droite qui lui fit saigner le nez en un millième de secondes. Mais Maisy, elle voulait pas que ça dégénère. Alors elle se rapprocha des deux hommes, et d'une voix fluette – trop fluette pour être prise au sérieux, sans doute, elle dit : - On va s'arrêter là, d'accord. En se tenant le nez et pleurant de douleur, le client, ou plutôt le presque client, quitta le diner sans rien tenter de plus. Maisy souffla, soulagée, et se tourna vers les poings d'acier. - Merci. C'était sympa. Super coup, d'ailleurs. Très efficace. Si mon patron apprend ça, je suis virée. Mais merci.

Levi en avait assez de devoir jouer au héros, mais encore une fois, s’il n’intervenait pas, les choses pouvaient gravement dégénérer. Dans un maigre soupir, il quitta sa banquette avant de fondre sur l’ivrogne. En l’espace d’une nano-seconde, il s’empara de son poignet qu’il vint tordre avec ferveur. Surpris par un tel retournement de situation, l’homme qui titubait maladroitement se fit assaillant en lui balançant un crochet. Bordel, c’était quoi son problème ? Bien trop alcoolisé pour contrôler son coup, Levi l’évita sans mal avant de riposter d’une droite trop bien placée. Son rival glissa de sa chaise sous le regard amusé du boxeur. Wade n’avait rien perdu de sa technique ni même de sa vitesse et cette petite constatation lui fit le plus grand bien. Le nez du client saignait et sans demander son reste, il quitta le restaurant. L’ancien champion n’avait même pas entendu les exclamations de la serveuse tant celles-ci étaient fluettes. « Merci. C'était sympa. Super coup, d'ailleurs. Très efficace. Si mon patron apprend ça, je suis virée. Mais merci. » Levant les yeux au ciel, Levi réajusta sa veste qui avait glissé de ses épaules, sous le choc de la frappe. « Easy veux-tu ? Tu vas pas être virée … Je viens de sauver tes fesses ! D'ailleurs, ça mérite bien un autre café ! » Ses doigts glissèrent dans la poche de son jean avant d’en sortir un billet de vingt dollars. « Tiens … C’est pour son repas, si t’a déjà envoyé sa commande en cuisine … » Puis, alors qu’il la toisait une dernière fois, le jeune homme fit volte-face avant d’aller se rassoir sur sa banquette, au fond du restaurant.

C'était pourtant pas compliqué, lui dirait son patron. On sourit, on reste polie, on ne fait pas fuir le client. Techniquement, ce n'était pas elle qui l'avait fait fuir, mais plutôt le grand baraqué qui venait d'éviter à Maisy qu'une main aux fesses ne se transforme en quelque chose de plus grave. Et le grand baraqué n'était pas n'importe qui, au vu de son crochet du droit digne d'un professionnel. - Easy veux-tu ? Tu vas pas être virée … Je viens de sauver tes fesses ! D'ailleurs, ça mérite bien un autre café ! Elle rit, nerveusement. - Ouais, littéralement. Il venait de lui sauver les fesses, et c'était pas souvent qu'on se déplaçait pour elle. D'habitude, les clients observaient sans broncher, laissant les choses se régler d'elle-même. Maisy, elle aurait voulu dire qu'elle pouvait se défendre toute seule, mais à vrai dire, elle était bien contente que monsieur muscle aie bougé le petit doigt. Alors, il méritait du café, c'était certain. Du café bien chaud, d'ailleurs. - Tiens … C’est pour son repas, si t’a déjà envoyé sa commande en cuisine … Elle resta plantée là, bredouillant un merci alors qu'il regagnait son siège, à l'autre bout du diner, c'est à dire à quelques pas de là. Il venait de lui donner un billet de vingt, comme ça, sans raison vraiment justifiée. Il n'avait pas à payer pour ce crétin d'alcoolique, et Maisy n'était pas habituée à ça. Elle secoua la tête, comme pour reprendre ses esprits, et fit à son tour volte-face pour rejoindre le comptoir. Elle plaça le billet dans la caisse, sans aucune hésitation, et mis à chauffer une cafetière pleine. En relevant la tête, elle se rendit compte qu'il était le dernier client, malgré l'heure encore loin d'être tardive pour le quartier. S'armant de café chaud, elle attrapa une deuxième tasse, et se glissa sur la banquette en face de lui. - Moi c'est Maisy, sinon. Enfin, c'est écrit là, de toute façon. Elle tapota du doigt le petit badge accroché à son uniforme, et rempli les deux tasses. - Laisse-moi deviner, t'es flic, c'est ça ? Ou prof de combat rapproché, vu ce coup. Je veux bien que tu m'apprennes.